Berceuse tarifée

Un hôtel miteux en province, un soir de semaine.
L’insomnie se pointe entre les draps rêches ; je raque une heure de chaîne payante et enchaîne branlette sur branlette ; les draps gagnent en douceur mais mes yeux restent ouverts.
Rhabillé, je descends boire un coup au bar, fermé plus tôt faute de clients. Un réceptionniste charitable m’indique «  le bon endroit pour passer une bonne nuit ».
J’arrive à l’adresse indiquée qui m’a tout l’air d’un club pour VRP graveleux et me gare entre deux Scénic immatriculés loin d’ici. Sitôt le contact coupé, j’entends la ruche lubrique bourdonner à coups de basses profondes.
Torse bombé, bras croisés, le videur me fait signe d’entrer d’un mouvement de crâne rasé.
L’endroit aux teintes pourpres / violacées me donne l’impression d’évoluer dans un zob gorgé de sang ; sur la scène principale, deux strip-teaseuses frétillent devant des commerciaux pintés.
Postée sur un petit podium, une troisième effeuilleuse, plus ronde, ne semble intéresser personne. Agacé par les beuglements des péquenots cravatés, je commande une conso et paie pour un strip en privé avec celle au cul xxl.
Dans la cabine capitonnée façon boudoir de lupanar, je fais tinter mon verre à shot tout contre sa barre de danse histoire de trinquer avec elle et m’installe dans le canapé, iPod vissé sur les oreilles.
Trois minutes à peine écoulées, bercé par ses ondulations au son d’un Nocturne de Chopin, enfin, je finis par fermer les yeux.

Un conte parisien

Montparnasse, l’heure de la sortie des théâtres.
J’arpente les rues qui rient, râlent de spectateurs ravis, déçus. Sans même me lancer un regard, un binoclard boutonneux que j’imagine être étudiant me colle un flyer dans les mains :

 Pierre et le loup revisité

Le 1er conte pornographique pour petits et grands

Un éclairage contemporain de l’œuvre de Prokofiev

Je transforme le tract en boulette, le lance au visage bourgeonné du lunetteux puis m’éloigne l’air de rien en sifflotant le thème principal de la célèbre partition.
Alors que la foule prend d’assaut les crêperies du quartier, je sens la faim me tenailler à mon tour et décide de rentrer.
Sur le trajet du retour, un boucan de cour d’immeuble m’arrête ; une fête des voisins bat son plein autour d’un buffet bien garni. Pas léger, bras levés, je pousse la grille d’entrée et arrose l’assemblée d’un souriant «  Salut ! ». Passée la gêne générale, tous retournent à leur bavardage et j’attaque l’assortiment de canapés.
A l’écart des autres résidents,  une jeune nana fait le pied de grue, un verre de soda à la main. Je l’aborde, on papote, sous l’œil méfiant de ses parents qu’elle me désigne du menton.
Alors que la nuit s’invite, on file poursuivre la soirée sur un banc de square quelques rues plus loin,  chacun une bouteille à la main.
Quelques gorgées plus tard, tandis que sa chevelure blonde va et vient lentement sur mon membre, je me surprends à siffloter le même air que précédemment.

Macadam mirage

L’été, fournaise de fin d’après midi ; je file tout droit vers un rencard. 
Le soleil cogne sur mon casque alors que je freine au feu rouge dans la rue principale d’un bled aux volets déjà clos. Effet de flou sur l’horizon bitumé ; un peu plus loin sur ma droite, une enseigne de bar s’allume. Avec son palmier vert fluo orné d’un soleil jaune pétard, le Coconut Café a tout du mirage de désert.
La porte s’ouvre, une serveuse surgit, clope au bec : cambrure de pin-up, gambettes sans fin, bouche de putain.
Le feu passe au vert, l’empaffé derrière moi klaxonne et la bombe m’adresse un sourire tout en écrasant son mégot ; langue sèche et corps en nage, j’opte pour aller boire une mousse histoire d’un peu me refroidir.
Tandis qu’elle décapsule ma bière comme elle décalotterait mon gland, je me décide à poireauter jusqu’à la fin de son service et, d’un pauvre texto, plante mon plan A.
Les chopes défilent, les heures aussi. Dehors les degrés ont diminué, dans mon sang le mercure bouillonne ; je m’affale sur la table et sombre.
Réveillé par une paume calleuse qui me tapote mollement la joue, j’émerge avec une bonne nausée et un filet de bave aux lèvres. Le patron marmonne dans sa barbe et s’en va retourner les chaises.
Sur le trottoir l’instant d’après, c’est larfeuille vide et valseuses pleines que je regarde s’éteindre le soleil de néon du Coconut Café.

Tchao Tchaïkovski

Une sirène de voiture de flic me tire de mon sommeil. Le temps d’ouvrir un œil, le bruit bleu s’est évanoui, parti s’enfoncer dans la nuit.
Derrière moi, une voix de grosse fumeuse gronde :
- Connards de poulets…Ça les fait bander d’allumer leur gros gyrophare.
Des relents d’alcool macéré sur une langue pâteuse viennent me faire froncer les sourcils. Je tâtonne, trouve mon téléphone, et balaie de l’écran mon côté du lit histoire de savoir où je suis.
Posés sur la table de nuit, un radio-réveil poussiéreux ainsi que d’ignobles babioles parmi lesquelles une boule à neige.
Dans le globe de plastique au parterre blanc poudré, une danseuse de ballet me fixe d’un sourire Walt Disney. Immobile sur le bout des pointes, ses membres sont gracieusement tendus ; tout comme la peau de son cul, probablement.
Je m’empare du bibelot, actionne son remontoir et lui inflige quelques secousses. Les flocons se propagent mollement, de même que l’air en si mineur de Tchaïkovski dans la fameuse scène d’ouverture de l’acte II du Lac des Cygnes.
Regard vaseux, sourire aux lèvres, je reste à contempler la belle toupiller sur elle-même au son du morceau grand public.
Les notes finissent par ralentir, le cygne en tutu blanc aussi jusqu’à se figer pour de bon, dos tourné.
Dans l’air de nouveau silencieux, je sens l’haleine chargée de gnôle revenir fouetter mes narines tandis qu’une paume humidifiée m’empoigne brusquement la queue.

Visite

Arrivé à la résidence, je gare ma brèle sur le parking où stationnent en tout trois voitures. Les graviers crissent sous mes semelles tandis que j’arrange comme je peux le ballotin de chocolats dont l’emballage a pris un coup dans mon blouson.
A l’accueil derrière son comptoir, une blouse blanche à verres de lunettes cul-de-bouteille semble absorbée par une revue. Sa bouche obstruée par un doigt qu’elle utilise façon cure-dent, le « bonjour » difforme qu’elle me lance me conditionne d’entrée.
Je frappe et entre dans la chambre sous les applaudissements dictés d’un public de télévision ; sur son pieu électrique, allongée, la tête inclinée, ma vieille somnole bouche entrouverte.
Elle a déjà bien meilleure mine et les bajoues moins affaissées ; ses membres n’ont pas l’air de trembler.
Sur sa table de nuit, une grande enveloppe marron griffée d’une écriture de porc. Me mordant la lèvre jusqu’au sang, je m’isole dans la salle de bain pour consulter ses résultats : toujours un peu moins rassurants, toujours un peu plus alarmants. Le foie a trinqué mais tenu.
Mâchoire légèrement desserrée, je savonne bruyamment mes mains quand sa voix me fait sursauter :
- Tu les as pris comme j’aime, fourrés à la liqueur de Kirsch ?
Je quitte l’endroit sans dire un mot au son de la clameur plaintive des spectateurs télévisuels pour un candidat malheureux.

Sales draps

10 ans qu’on ne s’était pas vus.
Quand je sonne à la porte de son pavillon de banlieue, c’est la nostalgie qui m’anime mais lorsqu’elle m’ouvre, c’est l’excitation qui s’installe : même visage d’ingénue salope, même cul à se damner. Une décennie passée et elle n’a pas changé.
La donne, elle, si : mariée, mère de famille, la soirée s’annonce bon enfant. Je réprime mon côté primate et la suis jusqu’à sa verrière.
Tard dans la nuit, entre deux souvenirs évoqués, ma main dérape entre ses cuisses.
- Ma petite famille ne va pas tarder, tu sais…Mon homme et les enfants rentrent de vacances…J’ai dit qu’un vieux copain passait et je n’ai aucune idée de l’heu-…
Avant qu'elle ait pu terminer, son jean lui arrive à mi-cuisse et mes phalanges fourragent sa fente.
- Bon, tant qu’à faire une connerie…Viens, on monte dans la chambre.
On se jette sur le lit, une odeur m’assaille les narines :
- Y'a comme une odeur….Forte...
- C’est mon mari…Il transpire extrêmement la nuit…Moi je suis habituée, mais…Laisse-moi juste changer les draps.
L’instant d’après, je la  regarde border le lit avec méticulosité.
- Ces lettres, cousues sur les taies d’oreiller…
- Nos initiales, oui…
Debout de chaque côté du lit,  je pars dans un fou rire nerveux tandis qu’elle éclate en sanglots.
En bas, le carillon tinte à tout va.

A propos de pisse et du temps qui passe

Savoie en haute saison, une station de ski animée.
Première soirée, engueulade au dîner, elle quitte la table puis le resto. Resté seul au milieu de l’assistance gênée, je décide de poursuivre le repas jusqu’au bout. Dans la grande salle bondée, les échanges reprennent peu à peu. Au dessert, quelques paires d’yeux mange-merde furètent encore vers moi ; au moment de partir, tous ont le nez dans leur assiette.
Dehors de gros flocons flottent dans l'air tandis que ma nuit coule à pic. Demain, chacun mettra de l’eau dans son vin chaud histoire de rendre supportables les trajets télésiège et les fondues en tête à tête.
Tandis que je regagne l’hôtel via les rues boueuses verglacées, je croise une bande d’adolescents : ça braille et ça s’emballe. Ils passent à ma hauteur sans même m’apercevoir, saouls de jouissance et d’insouciance ; l’un d’eux glisse sur la route gelée, rigole et se relève aussi vite qu’il s’est rétamé.
Un peu plus loin, je m’engage dans une voie privée à la blancheur encore intacte, chiale un bon coup et pisse à l’abri des regards. Tout en réfléchissant à ce qui me coupe  de ces mômes, j’observe la neige fondre à vue d’œil, le blanc virer au jaune.

Blues bulgare

On vient de finir notre affaire.
Sur sa minuscule table de nuit, près de mes billets chiffonnés, son réveil matin aux chiffres bleu fluo me signale l’heure écoulée.
- Encore quelques minutes tu peux rester » murmure t-elle tout en me ramenant par le bras sur le matelas et en posant sa tête sur mon torse.
- T’inquiète, c’était parfait comme touj-…
- Tu as déjà été à Bulgarie ?
Sans attendre une réponse, elle fredonne quelques notes d’une chanson dans sa langue natale.
- Fais gaffe, tu vas m’endormir…Elle dit quoi ta berceuse ?
- Ça parle des haïdouks…C’est le bon brigand… Le gentil voleur...comme votre Robin des bois.
- Vaurien mais généreux ?
- Voilà. Petite, ma grand-mère me chantait ça quand on lavait le linge sur les bords de la Maritza.
- …Chante encore.
Tandis qu’elle reprend la ballade à mi-voix, je sens de l’eau tiède sur ma peau.
- Maintenant tu dois partir.
Elle renifle, se relève et sans se retourner trottine jusqu’à la salle de bain.
Je me resape, rajoute un billet chiffonné.
A l’instant de quitter la piaule, sa culotte posée sur une chaise me fait de l’œil ; je l’attrape et file à la hâte.
Arrivé au rez-de-chaussée, j’entends sa voix du haut des marches :
- Bye bye haïdouk.


Lueurs

Elle m’attend pour 21h.
Ma bécane broute  en plein périph’ au niveau de la porte Dorée ; à peine le temps d’aller m’échouer sur la bande d’arrêt d’urgence que le bas moteur rend l’âme. Péniblement je pousse l’engin,  remonte la bretelle de sortie, en sueur le met sur sa béquille le temps d’une pause.
Cul sur la selle,  pareil à un veau dans son pré j’observe les  bagnoles à toute blinde défiler à l’infini. En arrière-plan, un ciel bardé de barres d’immeubles,  verrues bétonnées colossales.
- Tu veux quoi  bébé ? La sucette ou l’amour ?
De l’autre côté de la voie, sous la rampe de sortie, plantée devant sa tente cradingue une beurette tout en rondeur m’appelle d’un doigt qui va et vient.
- Une dépanneuse, dans l’idéal…je suis en rade…j’ai rendez-vous…
- Moi je dépanne toi mon chou. Je fais moins cher que la remorque et mieux la pipe que le rencard.
Au loin, le paysage monolithique de façades grises de pollution émaillées de lucarnes jaunâtres convainc mon regard hésitant qu’ici se termine ma soirée.
Entre deux chauffards énervés, je  traverse la voie asphaltée direction ma pute de fortune. Tandis qu’elle dézippe ma braguette dans la rumeur rauque des moteurs, j’aperçois par intermittence ses yeux de camée aux abois dans les raies des phares de voiture.

Ava

Hiver, fin de journée. Dehors la nuit tombe à pic sur un Paris pluvieux aux passants détrempés que j’en viens à envier.
Depuis le canapé, je l’observe s’écouter parler, position en tailleur sur les lames de son vieux parquet. Derrière elle, trois lettres rose bonbec placardées sur une porte fermée.
- Ava…Ta fille ?
- Oui, ma gamine de 5 ans…Elle dort, t’inquiète.
Agacé pour de bon, j’opte pour une branlette.
- Tes toilettes ?
- Dans la salle de bain, après la chambre de la petite.
Du bout des boots, je traverse l’endroit endormi ; les effluves de linge propre manquent de me faire vomir mon vin.
Rebords de baignoire, lavabo…La salle d’eau déborde de jouets.
Cul nu sur le carrelage glacial et yeux soigneusement suturés, je branle ma queue compulsivement. Le corps raidi comme un cadavre, j’écarquille les paupières à l’instant de l’onde de jouissance et croise le sourire plastifié d’une Barbie dessapée.
Tandis que les giclées affluent, la porte s’ouvre timidement : majeur-index pointés sur moi façon pétard, une bambine à bouille chiffonnée me tient en joue. Le bas-ventre barbouillé de foutre, je lève mes bras perclus de crampes sous le rire cristallin d’Ava.

Croyances indues

8ème étage sans ascenseur.  
Sapée comme une entraîneuse de peep-show, elle m’attend sur le pas de la porte de sa chambre de service.
- Pas trop dur ? C’est ça de courtiser une princesse…Bienvenue dans mon donjon ! »
Trop essoufflé pour lui répondre, je souris comme je peux et entre.
Elle me tend une coupette remplie jusqu’à ras bord, la sienne est quasi vide.
- J’ai commencé sans toi…C’est du mousseux mais il est bon ! »
D’une main tremblante elle se ressert tout en m’invitant à m’asseoir.
Sur la table basse jonchée de cendres et de came, un classeur grand ouvert rempli de vieilles coupures de presse : Entrevue, Closer, Télé Z…Sous ses yeux vitreux nostalgiques, je tourne les pages plastifiées : elle est partout, mains sur les hanches, nichons en toc, bouche en cul de poule.
Elle me narre ses 10 jours de gloire dans une télé-réalité comme si elle avait vu la Vierge.
- J’y croyais tellement…
- Faut surtout croire que le cathodique rend con…
- Le quoi ?
- Rien…Et donc ensuite la descente…
- En parlant de descente…C’est pas le moment !...On fume un peu ? »
Sans attendre une réponse, elle fait fondre au briquet ce qu’il reste de son caillou en aspirant par le stylo planté dans une canette de Kro recyclée en pipe à crack.
Tandis qu’elle inhale yeux mi-clos, j’en profite pour loucher piteusement sur son décolleté XXL. En fait juste deux grosses poches de gel mais rien à faire, je mords à pleines hormones à l’hameçon siliconé.
Face à nous, accroché au mur, cloué sur sa croix,  un Christ à la posture navrante nous considère d’un air navré.

Grand Invalide Social

Fatigué de tourner sans fin sur le parking de plage bondé, je roule sur l’emplacement G.I.G.-G.I.C.* et me positionne au point mort. Deux-trois estivants déjà s’arrêtent à hauteur de ma vitre en me toisant d’un air que je devine mauvais derrière leurs lunettes noires ; je hoche la tête et leur adresse un signe de main assorti d’un sourire glacé.
Haut dans le ciel, un Bob l’éponge hilare flotte au vent. A l’autre bout du cerf-volant, je distingue un gosse et son père, tous deux semblent entourés par une mer d’huile solaire : des corps inertes, étendus, luisent à perte de vue. A leurs côtés, tels des icebergs, les glacières à demi plongées dans le sable attendent d’être pillées.
Le soleil cogne à plein rayons et pas l’ombre d’un parasol, tout bénef’ pour les visages en nage qui ne demandent pas mieux qu’une torride léthargie, histoire de tout oublier le temps d’une quinzaine sous UV.
D’un œil dans le retro central j’observe mon ombrelle en toile rouge, inclinée en travers de la banquette arrière.
Finalement sûr de mon bon droit, je coupe le contact et pars me fondre tant bien que mal dans le flot vacancier.

* Grand Invalide de Guerre – Grand Invalide Civil



Au psy

J’arrive avec un peu d’avance, la salle d’attente est vide.
Murs au tissu défraîchi, pile de revues périmées,  quelques bouquins à tranche jaunie d’auteurs "à lire" …Une vraie faille spatio-temporelle avec Freud au bout du voyage.
Mais avant de tuer le père, il va bien falloir tuer le temps.
Je sors mon plan RATP et m’amuse à survoler du regard les lignes de métro ; mon attention se fixe sur la n°4, Clignancourt-Orléans.
Je parcours station par station le tracé couleur prune, les arrêts défilent sous mes yeux qui butent sur Barbès-Rochechouart.
Des flashs m’assaillent : une passe à la hussarde au fond d’une arrière-cour d’immeuble sous l’œil qui frise, amusé, d’une gardienne soudoyée, une putain black agenouillée dans une cage d’escalier, histoire d’une pipe à la volée… Je vais pour lever le camp puis me raisonne : ici les kleenex sont fournis.
A contrecœur et déjà sévèrement fébrile, je reprends mon trajet visuel.
A Strasbourg-St Denis, c’est le bug. J’imagine une baise tarifée dans le confort douillet d’un studio équipé ; douche offerte, lingettes à volonté.
La reconstruction de mon moi attendra encore un peu ; sans bruit je quitte la pièce, et,  comme je viderais mon sac au psy, je pars vider mes couilles aux putes.



Soldes nocturnes

Banlieue by night, paumé je roule au pas.
La sensation n’est pas désagréable mais le temps file ; une boutique encore éclairée m’incite à m’arrêter pour aller demander ma route. 
Derrière la porte fermée, une femme agenouillée s’affaire avec des fringues sur cintres et des feuilles gribouillées.  A côté d’elle, une montagne d’étiquettes fluos aux contours hérissés.
Je frappe à la vitre,  à peine surprise elle se relève, vient m’entrouvrir.
- Suis en plein inventaire, et les soldes qui démarrent demain…Que voulez-vous ? 
- Voilà, je cherche une rue...
Une vendeuse efficace : quelques minutes plus tard j’arrive à l’adresse en question.
Je sonne, la porte s’ouvre sur une robe courte d’un jaune criard, surplombée d’une bouille bariolée au-dessus de laquelle se dressent des mèches presque acérées, type « pique » ; la frange est courte, carrée, la coupe déstructurée,  de couleur noire et par endroits d’un vert pétard.
Plus tard dans la nuit, je ressors de l’appartement le for intérieur partagé entre orgiaque opportunité et libido bradée.

La recette du lapin chasseur

Elle devrait déjà être là.
Au-dessus de l’évier, je secoue l’égouttoir plein à ras bord de spaghetti. Tout en reposant l’ustensile, je relis mentalement l’annonce rédigée sur sa fiche, « jeune femme toute simple cherche relation sans prise de tête ». Je verse la boule de pâtes collées dans un grand saladier et fixe le gros tas jaune d’un regard satisfait. Voilà qui devrait la ravir.
Flash info sur Radio Classique, une voix ténue parle de conflits ethniques, d’une  commémoration poignante et annonce pour demain une météo pourrie ; retour à la musique avec l'adagio pour violon et piano de Zoltán Kodály dont je coupe le sifflet, agacé.
Pris d’un doute, je pars rouvrir l’ordinateur, me reconnecte à you&me et retourne sur la fiche de liloomojito75. Dans son album, une seule photo d’elle mais en quatre exemplaires ; comme elle l’a prétendu, ce doit être une novice des sites de rencontres Internet.
Je relis nos derniers échanges, on s’est bien confirmé 20h et mon adresse postale apparaît en toutes lettres avec code/interphone/étage et numéro de portable.
J’ouvre une bouteille de rouge, me sers un verre et mets la première chaine : c’est la fin du JT et la météo – pourrie – d’Evelyne Dhélyat est à suivre. J’actionne la zapette au hasard pour tomber sur CUISINE TV puis file me chercher une plâtrée.
Tandis que j’observe les dernières fumées de vapeur s'élever au-dessus du saladier, dans mon salon résonne via une intonation sucrée la recette du lapin chasseur. 

SS Burnout

L’écran d’ordinateur n’est pas loin  d’afficher 20 :00.
C’est vendredi, les locaux sont déserts depuis longtemps déjà.  A 15 :59 c’était l’effervescence, à 16 :01 tout le monde était barré.
L’horaire, point d’horizon vital de la masse salariale.  Parce que bon ou pas dans leur job, faire ses heures, c’est pour nombre d’entre eux déjà l’assurance d’une conscience tranquille et d’une paie perçue sans histoires.
Tête jetée en arrière, cul vissé sur mon siège en cuir, j’actionne frénétiquement le levier sous l’assise et joue à varier la hauteur. Le plafond va et vient,  le mécanisme grince et l’agent d’entretien s’agace ; elle a d’ailleurs cessé tout sifflotement guilleret.
Je pense et pèse chaque mot d’un premier mail à rédiger à l’adresse de mon employeur.
Le second sera destiné à celle dont je partage la vie.
Tous deux s’articuleront de façon plus ou moins semblable. Emploi d’une syntaxe soignée et d’un champ lexical à vertus apaisantes au service d’une explication limpide de mon refus catégorique de poursuivre avec eux ce qui restera à mes yeux une «  formidable aventure humaine ». En gros, leur signifier d’aller se faire foutre.
Et puis après, partir. Se tirer loin. Plusieurs points de chute à étudier, autant de nouvelles vies possibles, de préférence sans Internet.
- Ah, un autre qu’ils ont retrouvé ! » s’exclame la grosse dame en blouse bleue tout en pointant d’un index boudiné  la première page du quotidien laissé par mon collègue sur son bureau.
Un criminel de guerre nazi  y fait la une. Posture croulante, visage flasque et vêtements trop grands. Si ce n’est le regard, le vieil homme n’a plus grand-chose de fuyant.
- 97 ans, pensez donc…Y’a pas d’âge pour rendre des comptes, pas vrai ? » poursuit-elle, chiffon à la main,. Elle recommence à siffloter.
J’oriente la flèche sur démarrer, choisis éteindre et confirme d’un dernier clic.

L’enfer blanc

Helsinki, c’est l’été.
Il est tard,  la nuit ne viendra plus.
Depuis la terrasse du Tiger - Q.G. des finlandais friqués - j’observe le gris du ciel, sinistre chape de plomb qu’une boule brumeuse jaunît. 
Je me retourne et, main en visière, zieute à travers le verre teinté de l’immense baie vitrée : les lumières dansent,  l’alcool coule et les enceintes crachent. La conscience à peine engourdie, la foule bien habillée ondule, tourne sur elle-même dans une extase bidon. Tout le monde essaie  d’y croire, de faire comme si il faisait noir.
A l’intérieur, l’air ne sent rien, il est à bonne température.
Au bar j’aborde un spécimen local, physique nordique, vêtue sexy. Ses lèvres s’animent, bougent muettement, les miennes aussi sans doute. On trinque énergiquement, nos verres tintent sans bruit. Elle descend sa conso cul-sec, demande la même chose au barman. Entre deux silences tout sourire, on se postillonne à l’oreille des bribes d’anglais niveau lycée.
Une armoire à glace made in IKEA s’ amène, me balance un rictus polaire et tapote l’épaule de ma blonde ; elle pivote sur son tabouret et ne se retournera plus.
Sur le zinc étincelant du bar,  j’aligne nos verres à shot, allonge les euros et quitte l’établissement branchouille, les idées encore bien trop claires.
Je regagne mon hôtel à pied via les rues parfaitement tracées, vides de tout détritus. Les bars commencent à se vider, leur clientèle aussi : sur le pavé, les dos courbés vomissent leur soif d’obscurité.

Dimanche, jour malade

Elle a rien, moi non plus.
Je reboutonne mon jean, dévale les marches quatre à quatre et fonce trouver la pharmacie de garde, au pire un bon samaritain.
Sitôt la porte d’immeuble franchie, mon désir s’évapore  dans l’air mou,  ensuqué,  du dimanche fin d’après-midi. Jour christique, apathique, et toujours cette foutue rengaine : entre une semaine à l’agonie et la prochaine dont l’ombre pointe, une faille existentielle qui s’ouvre pour nous happer dans un vortex maussade où l’espace d’un instant on s’interroge et songe, le doigt sur la gâchette.
Sur le trottoir en pente je dépasse un couple à poussette dont le bruit des roulettes sert de conversation. Plus loin un clodo assis en tailleur mendie machinalement sur un bout de carton. Une vieille tire, tremblotante, son caddie qui déborde de produits premier prix.  Mains dans les poches, les yeux au loin, un gosse sur son skate fond sur moi et m’évite au dernier moment.
Les rues se suivent, les faunes inutiles se ressemblent, les croix de pharmacie aussi : toutes invariablement éteintes.
Au détour d’un boulevard désert, une bouche de métro béante me souffle son haleine crasseuse, je sens germes et bactéries venir m'asperger le visage.
Enivré par la tiédeur sale, je reste là quelques minutes pour finalement faire demi-tour.

Lie maternelle

Au téléphone, ses mots tanguaient.
De sa main tachetée tremblotante, elle m’invite à rentrer.  
Sous les poutres apparentes massives, une pochtronne dans sa porcherie.
La petite table basse croule sous les mégots froids. Pareilles à des baleines échouées, des bouteilles au goulot béant rendent un dernier râle liquoreux. Deux sacs de pharmacie dégueulent de petites gélules bleues, de moyennes pilules roses et de grosses granules blanches. Mouchetée de taches de graisse, une ordonnance cachetée du cabinet des associés et estimés docteurs A. BOULELEPEZ / A. DANSQUINZEJOURS posée là comme un mot d’adieu.
Et ça pue.
Elle qui baigne dans sa sueur de manque, de vieilles odeurs de plats en sauce sur des assiettes éparpillées, la litière du chat qui déborde...Le museau collé au velux, la bestiole aux côtes efflanquées miaule à la mort. J’ouvre, il se tire toutes griffes dehors.
- T’as apporté ?
Je sors la canette de ma poche, même pas le temps de la lui tendre qu’elle l’a décapsulée et pars la siffler dans sa chambre.
Je pose ma veste, retrousse mes manches et dans la moiteur de la nuit j’entame le récurage du lieu comme on irait fleurir une tombe.

La collabobo

Petit deux-pièces, plein est parisien.
Sur le tapis taché on défait le monde en buvant son vin bio.
Strauss tourne en rond sur la platine, le diamant usé sillonne le vinyle comme si c’était sa dernière danse.
Elle a l’alcool mauvais et ma «  gueule de mec de droite » lui revient de moins en moins.
- J’ai jamais couché avec un facho et c’est pas ce soir que j’vais commencer.
Tourisme équitable, police de proximité, arrêt du nucléaire, polémique OGM…Tous les sujets concons y passent.
Elle me bombarde de questions-piège comme un raid de Stukas sur Londres, en bon maquisard démago je me faufile dans les bonnes cases. L’orchestre craquelle plus que jamais tandis que je m’écoute composer un magistral concerto de foutaises bobos.
- Tu milites pour ta bite là, non ?
- C’est que je suis un homme de convictions…
- …Et je respecte ça.
Elle me débraguette et me prend dans sa bouche.
Le disque noir crépite comme les flammes de l’enfer, Strauss entame le dernier mouvement.

Casting crash, happy end

Elle le voulait, son verre au bar de l’hôtel bling-bling.  
Ambiance de morgue dans un décor genre carton-pâte sur fond de musique d’ascenseur.
Le barman dépose le mojito et la bière sur le zinc tandis qu’elle s’agite du regard.
Elle est là pour l’endroit,  pour les autres.
En caressant les feuilles de menthe du bout de sa paille, elle me récite son texte : David Lachapelle et ses « toiles de dingue », son job d’auditrice financière « prenant mais passionnant »,  ses prochaines vacances « entre copines au club »,  les mecs qui « n’assurent pas » …
Un type avec une gueule d’acteur passe derrière nous et va s’assoir deux tabourets plus loin.
Elle change de ton, hausse la voix, croise, décroise, recroise ses longues jambes puis interrompt son monologue et part se refaire une beauté.
Toc toc toc dans mon dos :
- C’est ta régulière ?
- Non, simple rencard…
- J’lui ai tapé dans l’œil, non ?
- J’crois bien…
- Tu me la cèdes ?
Il sort une pièce, l’euro symbolique toupille sur le comptoir.
- Elle est à toi, la note aussi.
Je termine ma Guinness et file.

Mars, et ça repart

Même pas 5 minutes de levrette que ma trique de fer vire à la demi-molle. Je vois son p’tit cul ferme s’agiter nerveusement, elle m’insulte, je la fesse…rien à faire, la tour de Pise s’écroule dans les eaux de Venise.
Je sors, retire d’un coup sec la capote, chacun reste sur ses appuis. Comme souvent dans ces instants-là, on parle pour rien.
En même temps qu’on meuble, j’observe son corps. Rien à redire, il est parfait. Mes doigts dévalent sa peau trop fine, trop lisse.
Toujours à genoux derrière elle, je m’étire. Mon regard vient s’écraser sur une des baies vitrées de l’immeuble voisin. Face à sa glace, une grosse à la peau caramel se farde. Penchée sur son reflet,  elle joue de ses énormes lèvres pour étaler le marron de son lipstick.
Véritable nappage doré, les formes dégoulinent de partout : c’est plus des seins, c’est des mamelles. Ses hanches d’oie grasse retombent sur son cul rebondi comme une joue de bébé.
Mon gourdin de retour, je mords dans l’emballage Durex sans décoller mes yeux du Mars.
Et ça repart.

Kindergarten Knock Out

Je pousse le petit portail vert.
Assise sur un des bancs, d’une main elle berce son nourrisson via de lents va-et-vient de  poussette. Elle m’aperçoit, signe de main, sourire éteint.
Pareil à un boxeur qui rentre sur le ring, je la rejoins sous les braillements des mômes du square. Le quart d’heure s’annonce sale.
En Bovary des bacs à sable, elle me parle de sa non-vie, de ses envies : du cul sauvage entre deux portes, des baises improvisées avec des porcs aux mains calleuses,  sentir qu’on bande non-stop pour elle.
Je l’écoute malgré moi, encaisse pleine tête ses confessions lubriques tandis qu’en haut d’un toboggan son ainée la cherche du regard, fière de ce qu’elle s’apprête à faire.
Le bébé se met à hurler. Elle  l’extirpe de la poussette, le prends contre elle et chemisier déboutonné le fait téter.
Sonné par ses aveux salaces, la vision de l’obus laiteux m’achève.  Ecœuré, excité, je  m’affale sur le banc et yeux fermés, dents serrées, m’assoupis au son de fredonnements et de bruits de succion.

Architecture d’un coup d'un soir

Tranquillement, on finit notre dernier verre. Autour de nous les chaises retournées sur les tables nous poussent lentement vers la sortie.
Sur le trottoir nos langues couvertes de tanin se fritent sous l’œil amusé du patron qui abaisse le rideau du bar.
- Ni chez toi, ni chez moi. Allons chez d’autres, me glisse t-elle entre deux pelles énervées.
Une architecte. En bonne cartésienne créative, elle m’emmène sur un de ses chantiers actuels, un penthouse en plein travaux.
Contraste entre extérieur de carte postale - Paris 360° - et intérieur désaffecté : murs lacérés de tranchées pour fils électriques, cloisons pétées, sur le parquet poussiéreux ponceuses et perceuses dispersées, jeans d’ouvriers couverts de plâtre…
Elle chope un des casques antichoc qu’elle me visse sur le crâne, se penche sur un sac de gravats, relève sa robe :
- Au boulot.
Le job bouclé chacun repart dans un taxi, mine noircie, fringues blanchies. Nos chauffeurs gueulent un peu mais cèdent.
Encore haletant sur la banquette, tête en arrière, les yeux sur le trafic, je sors mon téléphone, vais pour envoyer un texto pour finalement me raviser.

Viva la muerte

On enterre son grand-père.
Pour moi juste un obscur grand-oncle, le genre qui vous pinçait la joue pendant les réunions de famille. Le  cercueil descend dans la terre, hoquets d’effroi, reniflements, cris étouffés.
Tête baissée, yeux levés, je mate son cul. Le noir affine d’accord, mais là quand même…Une croupe d’enfer.
La cérémonie terminée, on se dirige vers les voitures. Elle et sa mère reçoivent, histoire d’une soirée entre proches. Il pleut comme vache qui pisse, les gens bien habillés se ruent sur les portières qui s’ouvrent et sitôt se referment. Sur la banquette arrière je me retrouve à côté d’elle. Dans  le rétro central j’observe sa mère. Joues trempées, lèvres tremblotantes, elle nous conduit jusqu’à l’appart en mode pilote automatique.
Elle pose sa tête sur mon épaule, sa main sur mon genou.
- Du fond du cœur, merci.
Tétanisé d’excitation, je sens ma queue se déployer sous mon pantalon de costume.
- C’est normal, tu sais.
Sa main remonte.
- Ça aussi c’est normal, tu sais. » dit-elle en massant ma bosse grossissante.
Quelques minutes plus tard j’éjacule au feu rouge au son d’une explosion de larmes de notre conductrice livide.

Un gosse, une garce

Oui.
Non…
Oui.
Non.
Oui.
NON.
Engueulade, elle me vire. Beurré comme une tartine, je descends les marches sur les fesses. Dans la cour de l’immeuble je titube et tâtonne 5 bonnes minutes pour dénicher le bouton « PORTE », 10 autres pour trouver mon scooter. A peine installé sur la selle, je somnole.
Histoire de dessaouler je décide d’un tour dans le quartier avant de reprendre la route.  Ca braille aux terrasses de troquet, perchés sur des balcons d’immeuble des gens dansent un verre à la main. Et moi, et moi, et moi…Pété comme un coing, la queue derrière l’oreille.
Au détour d’un trottoir je reconnais la rue, celle de l’école de mon enfance.
L’alcool a beau battre mes tempes et saturer mon sang, les images dans mon crâne sont nettes : un cartable trop lourd sur le dos, je trottine cramponné à la pogne paternelle tenant comme je peux la cadence des jambes du géant qui m’emmène. Et les cris de cour de récré, le gros savon jaune des toilettes, les couvertures couleur des cahiers grands carreaux…Et puis la petite amoureuse, la seule, la vraie…Le reflet sombre d’une vitrine me ramène au présent.
« Sorry petit, j’ai merdé.  30 ans passés pour rien. Mais fini les conneries, j’accueille ce signe du destin comme il se doit et dès ce soir je te fais le serm… »
 Le portable sonne.
- T’es où ?
- Pas loin…Je marche un peu histoire de décuver d’1 gramme ou 2.
- Bah…En fait c’est oui.
Je fixe le gosse dans la vitrine, reconnais le sourire en coin.
- …Bon ben j’arrive.

La plus belle ville du monde

Il est pas d’heure, on papote sur le net. Je propose de passer, elle accepte. Traversée du périph’, ceinture d’asphalt de Paris, ville engoncée dans son costume râpé, boursouflée par la vanité de ses deux millions d’habitants. Les tunnels orange se succèdent, les bretelles de sortie défilent, j’arrive enfin. Grimpette d’escalier jusqu’aux combles, une petite blondinette roulée comme un pneu neuf m’accueille, j’entre.
Hello Kitty meets Scarface.
Sur les murs rose bonbon, des armes à feu trônent : Uzi, Kalachnikov, PP7, Beretta, Winchester…Une poudrière de 20m², de quoi faire sauter les caissons de tout l’arrondissement.
La nana m’explique sa passion, les brocantes qu’elle chine lors de son rare temps libre. Provinciale exilée pour trouver du boulot, elle est serveuse dans un «  grand restaurant » et ravie d’habiter «  en plein cœur de la capitale ».
- Et puis regarde la vue !
A travers le verre sale d’une minuscule fenêtre on distingue un bras de Seine, fleuve de formol couleur pot d’échappement.
Une vie pour rien. L’envie me prend de choper un des flingues histoire d’abréger ses souffrances. Je choisis d’abréger les miennes et débouche le vin qu’elle me tend.
On lève nos verres à « la plus belle ville du monde ».
Tchin tchin, bang bang, bye bye.

L’inféconde

Un vernissage, un soir de semaine.
Comme d’habitude la galerie quasi-vide, tout le monde sur le trottoir à bouffer des p’tits fours et picoler des coupes. J’accoste une grande blonde en retrait, le courant passe, on file à l’anglaise dans sa piaule.
Sur les murs du studio minus, d’immenses toiles de coquilles d’œuf : fêlées, germées, ensanglantées…
- Cinglé le type qu’a pondu ça !
- C’est de moi.
Elle file dans la cuisine et rapporte une bouteille, deux gobelets en plastique. Le vin sifflé, je pars pisser. Mon urine coule, la porte s’ouvre.
- Hey mais…
- Laisse-moi t’essuyer.
Sous ses yeux impatients, penaud je finis mon affaire. D’une main appliquée elle secoue ma queue, presse mon gland qu’elle essuie d’une feuille de P.Q.
Je reste comme un con, boxer baissé et bras ballants.
- C’est ton truc l’uro ?
Sans un mot elle m’emmène sur le canapé-lit, se fout à quatre pattes.
- Prends-moi…par derrière...
- Le cul, comme ça, à froid ?
- Vas-y j’te dis…
Je déroule la capote et l’encule tant bien que mal. Elle s’allonge complètement, les deux mains pressées sur le ventre. Tandis que je lime son p’tit trou,  elle sanglote.
- Ça va ?
- Jouis.
Sans me faire prier j’envoie tout dans la minute et roule sur le côté. Elle se redresse, m’enlève le préso avec soin et le dépose dans un kleenex qu’elle va ranger dans un tiroir.
Elle se glisse sous la couverture, m’encercle de ses bras sans fin et me presse tout contre elle.
- Allez, dodo maintenant.
Je fais ma nuit comme un bébé et me tire aux aurores.

A contacter en cas d’urgence

Je pousse la porte du labo.
Silence de mort, doigts qui s’abattent sur un clavier. Un cimetière sous une pluie battante.
Derrière  le comptoir une blouse blanche les yeux rivés sur son écran me lance un bonjour mécanique.
- C’est pour ?
- Faire un test HIV mais j’ai pas d’ordon…
- Formulaire à remplir et à remettre à l’infirmière, me coupe t-elle en m’indiquant du  menton la salle d’attente.
Une femme enceinte jusqu’aux dents somnole sur l’épaule de son homme. Deux p’tits vieux bras croisés se chuchotent des bouts de phrase à l’oreille de temps à autre. Sur les genoux de son père un gamin chauve parcourt une BD en posant 30 questions / minute.
Normalité sublime. 
Et ces examens  qu’ils vont faire qui viendront la consolider: une  grossesse à risque, un glaucome détecté, une leucémie vaincue…Résultats bons, mauvais...Ça va plus loin. Ces gens vivent les uns pour les autres.
Je jette un œil au formulaire.
Nom, adresse, groupe sanguin, etc.
La p’tite vieille me prête un bic, je remplis des trous, coche des cases.
 « Personne à contacter en cas d’urgence : la catin qui me l’aura transmis, lui faire la peau ! » je songe d’un rictus intérieur en dénombrant les pointillés.
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C’est le tour de mamie, elle me réclame son bic.
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La vieille gueule, son jules s’en mêle.
Je m’excuse, la remercie, lui rend son putain de bic et quitte la salle d’attente.
A l’accueil c’est toujours pareil, mouches qui volent, doigts qui tapent. Gouttes d’eau sur pierre tombale.
Je pousse la porte du labo.

Saturday night Shoah

Nuit moite à la mi-août, insomnie étouffante.
Les gens sont partis noyer leurs emmerdes dans l’eau d’une plage du littoral le temps d’un week-end prolongé.
Paris libéré, royaume suffocant des touristes étrangers, des chômeurs et des putes.
En sueur, en chien, je m’adosse à la tête de lit et l’ordi calé sur les cuisses je file sur les sites d’escorting. Ça clignote de partout, couleurs criardes, bannières en flash où des nichons maous s’agitent et des culs se trémoussent. Ici c’est l’embarras du choix, y a toutes les couleurs, tous les poids, toutes les tailles et tous les tarifs…Une brunette accroche mon regard. Je fantasme en http, bande pour des lignes de code, du pixel siliconé.
J’appelle. Voix dégoulinante, la fille détaille pratiques / tarifs façon centre d’appel pour obtention de crédit. Je note adresse et code, file sous la douche,  me prépare comme si plaire comptait et décolle direction le Neverland des MST.
Je frappe et sens sur moi l’œil derrière le judas. Une grande liane m’ouvre, en string et sur talons, seins nus.  J’entre et lui tends la somme convenue qu’elle saisit  presto d’un sourire de hyène repue.
- La douche au fond à droite…déshabille-toi avant d’entrer.
L’accent fleure bon la Taïga sibérienne.
- Je viens d’en prendre une, pas la peine…
- La douche au fond à droite…déshabille-toi avant d’entrer.
Pas l’heure pour un cours de français, je suis la procédure de chambre à gaz, entre à poil dans la pièce. A côté du panier à linge une grande pile de serviettes de bain et sur les rebords de baignoire des savons d’hôtel par dizaines. L’eau brûlante gicle du pommeau, la vapeur monte. J’éteins la lumière principale et dans le miroir éclairant je fixe mon image reflétée, la regarde fondre dans la buée. 

Et merde

Soirée grandiose.
Ça sentait pourtant pas très bon, rendez-vous arrangé. Le genre de scénario catastrophe pour désastre annoncé. Au final un dîner sensass’ et la voilà qui m’invite pour  «  un dernier verre chez elle ».
Dans la caisse je savoure l’instant. La montée des marches, les hormones qui dansent la gigue…Les jeux sont faits et tout va bien : MERCI PETIT JESUS.
Dans les autres voitures j’observe les couples. Regard au loin, lèvres serrées, la radio sûrement allumée histoire que l’autre la boucle et pressés d’arriver pour  aller vaquer dans son coin.
Allez les gars, risette, ce soir le soleil brille !
Arrivés dans son loft elle dégaine deux verres en cristal et un château Yquem. Une dizaine de lampées plus tard je file à l’étage me vider la vessie.  Quelques tableaux de maîtres, de sublimes pièces de mobilier…Déco classe et sobre, une femme de goût en plus. Ce soir la super cagnotte est pour bibi. Sourire aux lèvres je relève le rabat de cuvette : un colombin énorme flotte en surface. Le numéro complémentaire.  L’eau d’un brun sombre indique l’état de décomposition avancée de l’étron mais quand même, le gaillard en impose. Un dur à cuire, la chasse d’eau peut en témoigner.
Sitôt celle-ci tirée et la crotte enfin ad patres, je débraguette et pisse en apnée tandis que l’odeur fécale embaume la petite pièce. Je manque de dégueuler et zappe l’étape lavage de mains.
La queue en berne je retourne au salon.
- Bah t’es tout pâlichon ça va ?
- Le tournedos…Passe pas…
- Ah toi aussi ? ça me rassure, j’ai l’estomac barbouillé depuis qu’on a quitté le resto. A mon tour de te fausser compagnie…
Alors qu’elle emprunte l’escalier d’un sublime déhanché, le cœur serré je la contemple une dernière fois, l’écoute fermer la porte, récupère ma veste et décampe.

Vue d’ailleurs

Cris.
Râles.
Silence.
- Un ange passe…glousse t-elle
- Bah qu’il aille décocher sa flèche ailleurs.
- Tu gâches tout…Allez tais-toi, on dort.
Deux heures plus tard, Morphée s’est fait la malle avec Cupidon.
La fille roupille profondément, je cogite à vide et gigote comme un possédé.
Bruits de frigo, murs qui travaillent et ça fuit dans les chiottes.
Floc. Floc .Floc.
Fuck.
Kundera me revient : « L'amour ne se manifeste pas par le désir de faire l'amour mais par le désir du sommeil partagé.»
J’enfile mon jean, direction le balcon et sa vue sur la ville qui dort.  Sur les toits parisiens, pareilles à des bouts de mégot quelques cheminées fument encore.
Derrière un des rares carreaux encore éclairés, un instantané d’ordinaire : un couple en mode soirée télé. En position cuillère sur un immense sofa, on devine l’écran face à eux. Sur la table basse, deux assiettes vides, un pot Häagen-Dazs dépecé, des emballages Twix éventrés.
Je reste avec eux jusqu’à la fin du film puis pars finir la nuit chez moi.

En flux tendu

Bzzz.
Une ancienne collègue de la pub sonne à l’interphone. Suite à des retrouvailles virtuelles, on a fixé rencard chez moi.
On commande jap. Sitôt les sushis déballés-les bières décapsulées, on évoque les bons vieux souvenirs : charrettes nocturnes, délais incompressibles, l’excitation sous la pression. 
- Fallait faire vite et bien... » lâche t-elle dans un murmure.
La soirée file à tout allure.
A peine le temps d’attaquer qu’elle m’explique son divorce en cours, deux enfants en bas âge et la baby-sitter bookée jusqu’à minuit dernier carat.
- Tu m’appelles un taxi ?
Portable en main, je pianote furax.
- Ton G7 d’ici 5 minutes.
- T’es fâché ? tu voulais me sauter ?
Avant même ma réponse elle se cambre et relève sa jupe.
- Attrape une capote dans mon sac et prends-moi avant qu’il arrive…
Raidi d’excitation par la sauterie improvisée j’enfile le capuchon poisseux et douze coups de pilon plus tard, je retombe sur le canapé.
Devant le miroir de l’entrée elle se repomponne, se recoiffe, s’empare de son sac et se tire.
Un quart d’heure plus tard, SMS : «  Vite et bien…J’espère qu’on rebossera ensemble ;-) ».

L'ex

« Viens sans arrière-pensée. Un chapitre de ma vie qui se ferme mais du mal à tourner la page » qu’elle m’a dit.
Le bouquin semble lourd et pas loin de me tomber sur le pied. Vaillant j’y vais quand même, armé d’un vin qui cogne.
Elle m’ouvre en jogging et t-shirt, les yeux maquillés mais gonflés, le phrasé mou. L’appart empeste l’encens.
« Il est passé hier récupérer ses dernières affaires, son parfum m’a réveillée cette nuit. ». L’oreille sourde et la main lourde je verse le vin, aborde les sujets-diversion : ses peintures – il m’encourageait tant », son dernier concert – Adele, avec lui », ses prochaines vacances – une croisière seule pour faire le point ».
Elle boit du bout des lèvres.
En bruit de fond le prime time TF1, un nanar médical avec chirurgiens black-blanc-beur à l’œil qui frise et la mâchoire carrée. A se flinguer.
Je tente l’approche tendresse, câlin consolateur, mots doux, mouvements de sioux. Elle s’affale sur mon torse. Bisous-test dans ses cheveux.
- C’est trop tôt…tu penses pas ? marmonne t-elle en relevant la tête.
- Tôt, tard…
Nietzsche a parlé. Je l’embrasse à pleine bouche, elle explose en sanglots et s’en retourne renifler dans mon cou.
Sur ma chemise le Rimmel coule.
A l’écran deux internes s’envoient en l’air dans une salle de garde sur fond de couinements en VF.

Bien trop bien

Un bar, un soir. Son bras élancé sur le zinc, une belle brunette seule plantée là comme un morceau de gruyère sur une tapette à rats. On s’invite du regard et du comptoir on passe au box. Les heures passent, les verres se vident et se remplissent. On discute, on débat, on s’emporte, on se marre. Alcool oblige, le pathos s’en mêle, les confessions éthyliques pleuvent.
La fille a tout pour elle. D’ailleurs même l’addition, c’est pour elle. Je proteste mollement, la tête ailleurs, chez moi pour être exact, histoire d’un dernier verre  et d’une levrette cognée sur le coin du canap’. Tandis qu’elle tape son code cb,  la mécanique s’enraye.
On sort et marche un peu, au hasard du bitume vacant. C’est samedi soir,  la ville est bondée et l’ambiance au bonheur affiché. On croise des bandes pompettes, des touristes piailleurs, des couples agglutinés.  
Sous les rires de la rue les mots s’espacent, la connivence crevasse.
Agacé, j’évoque l’heure avancée. Les tel. enregistrés, on se promet une prochaine fois. 
Une heure plus tard, portable éteint, je m’endors soulagé.

Voyage, destination, etc.

Minuit et des brouettes.
Virée dans le far-ouest parisien, une qui m’invite chez elle à boire un verre - mais la bouteille, c’est pour moi. Un bordeaux, a t-elle insisté.
Traversée rituelle de grandes artères banlieusardes vidées de leur sang piétonnier après 21h, et ville après ville toujours les mêmes noms qui reviennent : Jean Jaurès, Victor Hugo, Maréchal Juin...Tu parles d’une postérité municipale.
Aux feux rouges, je zieute tous alentours : restaurants aux noms délicieusement ringards, «  La gamelle au plafond », bars aux appellations folklos , « La machine à coudes »…Sur les trottoirs blafards, derniers sursauts de vie : un  père de famille éreinté tenu en laisse par le chien familial. Le sac lourd de déjections canines à la main, le regard vide et sans doute le cœur gros. J’imagine un entretien annuel raté, une vie sexuelle à vau-l’eau, des projets macabres pour ses proches…Le feu passe au vert et je démarre tout sourire, grisé par le charme cafardeux de ces agglomérations aux airs de stations balnéaires hors-saison.
Arrivée devant la résidence proprette, hideuse. Coup d’œil dans la glace de l’ascenseur : yeux rougis par le froid, coiffé comme un piaf à cause du casque et à peine le temps de soupirer que la voix digitale annonce : «  7ème-ETAGE ».  Je frappe, la porte s’ouvre, une brune à peau très pâle perchée sur talons. Elle doit bien culminer à plus d’1m80. Sourire de garce. L’Anapurna version Kamasutra.
On s’assoit – ça va déjà mieux -, je débouche la bouteille, nous sers, les sujets défilent : son boulot,  ses lectures, son goût pour les séries, sa mère intrusive…Le rouge passe bien.  
Blanc.
On s’emballe, on s’encastre, on s’enlace, on s’ennuie.  Je m’en vais.
Au retour, j’opte pour le périph’.