Berceuse tarifée

Un hôtel miteux en province, un soir de semaine.
L’insomnie se pointe entre les draps rêches ; je raque une heure de chaîne payante et enchaîne branlette sur branlette ; les draps gagnent en douceur mais mes yeux restent ouverts.
Rhabillé, je descends boire un coup au bar, fermé plus tôt faute de clients. Un réceptionniste charitable m’indique «  le bon endroit pour passer une bonne nuit ».
J’arrive à l’adresse indiquée qui m’a tout l’air d’un club pour VRP graveleux et me gare entre deux Scénic immatriculés loin d’ici. Sitôt le contact coupé, j’entends la ruche lubrique bourdonner à coups de basses profondes.
Torse bombé, bras croisés, le videur me fait signe d’entrer d’un mouvement de crâne rasé.
L’endroit aux teintes pourpres / violacées me donne l’impression d’évoluer dans un zob gorgé de sang ; sur la scène principale, deux strip-teaseuses frétillent devant des commerciaux pintés.
Postée sur un petit podium, une troisième effeuilleuse, plus ronde, ne semble intéresser personne. Agacé par les beuglements des péquenots cravatés, je commande une conso et paie pour un strip en privé avec celle au cul xxl.
Dans la cabine capitonnée façon boudoir de lupanar, je fais tinter mon verre à shot tout contre sa barre de danse histoire de trinquer avec elle et m’installe dans le canapé, iPod vissé sur les oreilles.
Trois minutes à peine écoulées, bercé par ses ondulations au son d’un Nocturne de Chopin, enfin, je finis par fermer les yeux.

Un conte parisien

Montparnasse, l’heure de la sortie des théâtres.
J’arpente les rues qui rient, râlent de spectateurs ravis, déçus. Sans même me lancer un regard, un binoclard boutonneux que j’imagine être étudiant me colle un flyer dans les mains :

 Pierre et le loup revisité

Le 1er conte pornographique pour petits et grands

Un éclairage contemporain de l’œuvre de Prokofiev

Je transforme le tract en boulette, le lance au visage bourgeonné du lunetteux puis m’éloigne l’air de rien en sifflotant le thème principal de la célèbre partition.
Alors que la foule prend d’assaut les crêperies du quartier, je sens la faim me tenailler à mon tour et décide de rentrer.
Sur le trajet du retour, un boucan de cour d’immeuble m’arrête ; une fête des voisins bat son plein autour d’un buffet bien garni. Pas léger, bras levés, je pousse la grille d’entrée et arrose l’assemblée d’un souriant «  Salut ! ». Passée la gêne générale, tous retournent à leur bavardage et j’attaque l’assortiment de canapés.
A l’écart des autres résidents,  une jeune nana fait le pied de grue, un verre de soda à la main. Je l’aborde, on papote, sous l’œil méfiant de ses parents qu’elle me désigne du menton.
Alors que la nuit s’invite, on file poursuivre la soirée sur un banc de square quelques rues plus loin,  chacun une bouteille à la main.
Quelques gorgées plus tard, tandis que sa chevelure blonde va et vient lentement sur mon membre, je me surprends à siffloter le même air que précédemment.

Macadam mirage

L’été, fournaise de fin d’après midi ; je file tout droit vers un rencard. 
Le soleil cogne sur mon casque alors que je freine au feu rouge dans la rue principale d’un bled aux volets déjà clos. Effet de flou sur l’horizon bitumé ; un peu plus loin sur ma droite, une enseigne de bar s’allume. Avec son palmier vert fluo orné d’un soleil jaune pétard, le Coconut Café a tout du mirage de désert.
La porte s’ouvre, une serveuse surgit, clope au bec : cambrure de pin-up, gambettes sans fin, bouche de putain.
Le feu passe au vert, l’empaffé derrière moi klaxonne et la bombe m’adresse un sourire tout en écrasant son mégot ; langue sèche et corps en nage, j’opte pour aller boire une mousse histoire d’un peu me refroidir.
Tandis qu’elle décapsule ma bière comme elle décalotterait mon gland, je me décide à poireauter jusqu’à la fin de son service et, d’un pauvre texto, plante mon plan A.
Les chopes défilent, les heures aussi. Dehors les degrés ont diminué, dans mon sang le mercure bouillonne ; je m’affale sur la table et sombre.
Réveillé par une paume calleuse qui me tapote mollement la joue, j’émerge avec une bonne nausée et un filet de bave aux lèvres. Le patron marmonne dans sa barbe et s’en va retourner les chaises.
Sur le trottoir l’instant d’après, c’est larfeuille vide et valseuses pleines que je regarde s’éteindre le soleil de néon du Coconut Café.