Les lapins d'abord

Je venais de passer la soirée avec cette belle femme noire. Enfin belle, disons excitante. Avant de me recevoir, elle m’avait fait jurer de passer la totalité la nuit avec elle et de ne pas me tirer sitôt la purée envoyée. Bouillonnant d’envie, j’avais dit oui sans hésiter une seule seconde. C’était il y a quelques heures.
On avait trinqué, picolé, papoté et pris du bon temps sur son canapé puis dans son lit.
Désormais, il fait nuit noire. Il doit être aux alentours d’une ou deux heures du matin, elle pionce comme une bienheureuse. Moi, pas moyen de trouver le sommeil. Les yeux noyés dans l’obscurité, je perçois les bruits du lapin nain de sa mioche qui s’agite dans sa cage, dans la chambre mitoyenne.  Je l’imagine chier dans sa paille, boire, manger. De nouveau chier, boire, et cetera. Tu parles d’une vie. L’odeur de la bestiole m’arrive jusqu’aux naseaux, c’est pas tenable. « À moins que ce n’soit l’odeur de ma chère et tendre ? » me dis-je, ricanant intérieurement.
Toujours est-il que j’ai pas la moindre intention de m’éterniser ici ; il faut que je me tire fissa. Imbécile que je suis, j’ai pris la place près du mur et vais devoir enjamber ma black au bois dormant. En pleine manœuvre, mon pied s’enfonce dans le matelas, je donne alors une impulsion sans doute trop appuyée pour m’extirper du pieu et retombe lourdement pieds joints sur le sol en coco.
BAM.
Ni une ni deux, elle se réveille et se relève, droite comme un i.
- Bah tu fais quoi ?
- Le lapin fait la foire, pas moyen d’fermer l’œil. Je rentre.
- T’avais juré…
- Je pouvais pas savoir que t’hébergeais un lapin insomniaque…
- SALE FRANÇAIS DE MERDE !
- Attends, c’est tout d’même pas un drame si…
- PD DE FEMMELETTE !
- Ouh la…bon t’embêtes pas, je trouverai la sortie tout seul.
Tandis que le flot d’insultes continue de se déverser dans mes oreilles, je tente de trouver mes fringues au plus vite.
- SALE RACE DE BLANC BARRE-TOI SINON J’ME LÈVE ET C’EST MOI QUI T’FOUS DEHORS TOI ET TON VIEUX PRÉNOM !
- Hein ?
- DÉGAGE !
Quittant la chambre rapidos, je passe devant celle de sa fille, m’arrête ; j’entre, me dirige vers la cage. Le lapin me fixe, immobile. Je fais de même. Ca pue. J’ouvre la porte de sa cellule, me saisis du petit être et file.
Dans l’entrée, je tâtonne pour trouver ma veste.
- SALE RACE DE CLÉBARD !
Je sens un liquide tiède traverser le tissu de ma chemise.  Affolé par l’agitation et les hurlements hystériques de la furie d’ébène, mon complice à poils doux m’a pissé dessus. J’ouvre la porte de l’appart, la referme sans bruit et trottine jusqu’à l’ascenseur, le lapinou tout contre moi.
Arrivé dans la rue, je le porte à hauteur d’yeux histoire d’adieux comme il se doit ; on se regarde une dernière fois. Je crois déceler comme une lueur de gratitude dans les yeux du petit mammifère. Sitôt ses pattes sur le bitume, je le regarde filer à droite en cavalant et disparaitre dans la nuit. Le cœur léger, je pars à gauche rejoindre une borne de taxi.