L’écran d’ordinateur n’est pas loin
d’afficher 20 :00.
C’est vendredi, les locaux sont déserts
depuis longtemps déjà. A 15 :59 c’était l’effervescence, à
16 :01 tout le monde était barré.
L’horaire, point d’horizon vital de la masse
salariale. Parce que bon ou pas dans leur job, faire ses heures,
c’est pour nombre d’entre eux déjà l’assurance d’une conscience tranquille et
d’une paie perçue sans histoires.
Tête jetée en arrière, cul vissé sur mon
siège en cuir, j’actionne frénétiquement le levier sous l’assise et joue à
varier la hauteur. Le plafond va et vient, le mécanisme grince et l’agent
d’entretien s’agace ; elle a d’ailleurs cessé tout sifflotement guilleret.
Je pense et pèse chaque mot d’un premier
mail à rédiger à l’adresse de mon employeur.
Le second sera destiné à celle dont je
partage la vie.
Tous deux s’articuleront de façon plus ou
moins semblable. Emploi d’une syntaxe soignée et d’un champ lexical à vertus
apaisantes au service d’une explication limpide de mon refus catégorique de
poursuivre avec eux ce qui restera à mes yeux une « formidable aventure
humaine ». En gros, leur signifier d’aller se faire foutre.
Et puis après, partir. Se tirer loin.
Plusieurs points de chute à étudier, autant de nouvelles vies possibles, de
préférence sans Internet.
- Ah, un autre qu’ils ont
retrouvé ! » s’exclame la grosse dame en blouse bleue tout en
pointant d’un index boudiné la première page du quotidien laissé par mon
collègue sur son bureau.
Un criminel de guerre nazi y fait la
une. Posture croulante, visage flasque et vêtements trop grands. Si ce n’est le
regard, le vieil homme n’a plus grand-chose de fuyant.
- 97 ans, pensez donc…Y’a pas d’âge pour
rendre des comptes, pas vrai ? » poursuit-elle, chiffon à la main,.
Elle recommence à siffloter.
J’oriente la flèche sur démarrer,
choisis éteindre et confirme d’un dernier clic.