Son abonnement Orange squeezé pour cause d’impayé, mon pote Marc, un grand gaillard carrure poids lourd, demande à venir squatter ma bande passante le temps d’un
entretien d’embauche via Skype. Ce mardi fin de matinée, il débarque donc, ses
cheveux frisés mal peignés, engoncé dans un costard acheté il y a pas mal
d’années, désormais trop juste d’au moins deux tailles.
Avant l’entrevue digitale, je lui fais couler un déca.
Avant l’entrevue digitale, je lui fais couler un déca.
- Alors, tu le sens comment, cette fois-ci ?
- Bah, on verra… J’ai préparé mon p’tit speech. Ils cherchent
un négociant en matières premières pour la zone subsaharienne. J’suis fait pour
ce taf.
- T’as bandé ton arc, affuté tes flèches les plus
redoutables ?
- Haha, j’suis plutôt en mode Rocky, prêt à leur décocher
mon fameux uppercut, rigole Marc, imitant l’acteur-boxeur culte, avant de,
comme un mauvais présage, renverser quelques gouttes de café sur sa cravate
d’un vert douteux.
Sa tasse vidée, il part s’isoler dans ma chambre, son antique
MacBook Pro en main.
Quelques minutes plus tard, la sonnerie d’appel retentit de
l’autre côté du mur.
Je l’entends vaguement s’exprimer, débiter son laïus d’usage
comme un gérant de pompes funèbres annoncerait ses prestations et tarifs à toute une famille endeuillée.
Quand ils en viennent à parler paie, le ton monte
précipitamment pour se conclure par une flopée d’insultes éructées de la bouche
de Marc. De l’autre côté de l’écran, le type semble rester sans voix, avant de
couper court à l’échange vidéo comme en témoigne un ultime son.
Un bon quart d’heure écoulé, sans nouvelles, je toque,
questionne mon pote :
- Ça va là d’dans ? Ça dure dis-moi… Vous vous faites
une sexcam ou quoi ?
Sans réponse, j’entrouvre un brin la porte, pour découvrir
la carcasse 2XL de Marc étendue sur ma couette, assoupie, ses chaussures au
pied du sommier. Encore ouvert sur mon bureau, le laptop à l’écran sévèrement
fissuré, constellé de taches, tel un vainqueur au onzième round, propage son rayonnement pâlot.