Après l’étreinte, Raquel et moi restions souvent de longues
minutes côte à côte. Pas du genre à nous blottir, dans ces
instants-là seules nos mains se mêlaient parfois, nos phalanges parties flâner le
long des formes de l’autre.
- C’est marrant…Depuis tout c’temps qu’on s’fait l’amour,
j’ai toujours cette même sensation de ne rien savoir de ton corps. Que j’ai
beau l’enserrer, le saisir, le lécher, l’embrasser, l’enlacer…Il m’échappera
toujours.
- Comment dois-je le prendre…
- Ni bien, ni mal…Sans doute l’effet tatouages qui fait
qu’il donne cette impression de ne jamais s’abandonner. De rester hors de
portée.
- Hors de portée ? Perso, j’trouve que tu t’en empares
plutôt bien.
- Oui enfin, tu vois l’idée…
- J’vois tout à fait, oui. Et ça m'déplaît pas d’entendre ça.
Ce foutu corps…L’époque où j’ai décidé de le faire tatouer à ce point…C’était histoire
d’un peu me le réapproprier …Masquer les traces.
- Les traces ?
- Pas du genre visibles. Des traces que j’étais seule à voir.
Des traces qu’on n’enlève pas comme ça…Et qui ne partent jamais vraiment. Des
traces de crasse. Humaine.
- J’vois l’genre. Du coup, ainsi tu t’sens moins
vulnérable ?
- Un peu plus inviolable, voilà. Enfin je sais, tout ça
c’est dans ma tête. Mais là aussi, c’est bien gravé. Marqué au fer rouge. Aucun
tatouage de ton côté ?
- Bah non, t’as bien vu.
- Si tu devais t’en faire faire un, tu choisirais quel
emplacement ?
- Un endroit sans enjeux, je crois. Un endroit pour faire
diversion. Afin d’escamoter tout l’reste.
- Pas bête.
- Ouais, une façon comme une autre de couvrir ses traces. Bon
allez, j’file à la douche.
- Encore ? T’en as pris une en arrivant.
- C’est vrai…
- Nan mais t’as pas à t’justifier. Je peux comprendre.
Frotte bien.
Dans la salle d’eau, je reste un long moment face à l’énorme
miroir mural avant d’aller ouvrir la porte de la cabine de douche.