La peur du noir

Appel de Laura en pleine nuit.

Mon Xav’, urgence absolue. On vient de m’appeler pour une garde à vue. Tu peux venir garder Mina ? Mon ex a coupé son portable et mes parents ne répondent pas.

- J’mets la sirène, j’arrive de suite. 

Je me sape à la hâte, enfourche mon scooter et file tout droit vers la rue Cler.

Arrivé sur les coups d’1h30, mon avocate d’amie me briefe à la va-vite :

T’inquiète, elle se réveille rarement passé minuit. Mais au cas où : tu lui donnes un verre d’eau et lui dis que maman est partie défendre un client. Elle comprendra. Tu coupes court à toute autre question, tu la recouches direct. Surtout pas de bla-bla, pas de chichi. Pas de négo.

 Bien maître.

- Merci encore, tu m’sauves la vie. J’fais au plus vite.

Laura partie, je m’installe sur le canapé, dégaine mon MacBook Air puis lance l’ultime saison de Stranger Things.

Au beau milieu du deuxième épisode, je perçois le grincement des gonds de la porte du salon. Dans la pénombre de la pièce, je distingue une petite forme tout de rose vêtue s’avancer lentement vers moi :

Zavier ? qu’est-ce que tu fais là ? et où est mam’ ? 

- Hey Minouche… Ta mère est partie défendre un client. Elle revient bientôt, t’en fais pas. T’as fait un mauvais rêve ? je te donne un verre d’eau ?

- Un cauchemar, oui. C’était horrible. Tu regardes quoi ?

- Un truc de grands. Tu veux un verre d’eau ?

Ignorant toujours ma question, Mina se rapproche de l’écran, son doudou serré tout contre elle.

Y’a des enfants dans ton film, on dirait.

- Toute une bande de bons copains, oui.

Je me lève, file à la cuisine.

Et des monstres aussi…

- Y’en a quelques-uns, en effet. Mais les enfants gagnent à la fin.

- Comment tu sais ?

- Les gentils gagnent toujours à la fin, tu sais bien. Allez, tiens, bois un peu Mina.

Son verre vidé à lentes gorgées, je la raccompagne dans sa chambre.

Tu peux rallumer ma veilleuse ? Même si maint’nant j’suis grande, j’ai encore un peu peur du noir. 

- C’est plutôt normal à ton âge.

- Ça passe, après ? 

 La peur du noir s’en va, bien sûr. 

- Oui enfin, vous les adultes, vous avez d’autres peurs.

- Ah ? 

- Bah par exemple, la peur d’aimer. Quand pap’ et mam’ était encore ensemble, je les entendais crier fort, très fort.  Surtout maman. Elle disait toujours à papa qu’il avait peur d’aimer, et que ça changerait jamais. Que c’est pour ça qu’elle s’en irait. D’ailleurs elle est partie. Comment on peut avoir peur d’aimer ?

- Mmm… Pour faire simple, disons qu’aimer c’est un peu comme être dans le noir. T’avances sans trop y voir, ni savoir où tu mets les pieds. Tu peux t’cogner à tout moment, tu peux tomber…

- …Comme tomber amoureux ?

- Exactement. Bref, t’imagines tout le temps le pire, comme d’aimer sans l’être en retour, aimer et être abandonné… c’est comme ça que la peur grandit. 

- Je vois. T’as peur d’aimer, toi ? 

- Mina…

- Réponds-moi juste, après je m’endors, je te jure.

- On a tous un peu peur de ça.

- Toi, c'est plutôt un peu ou beaucoup ? 

- Ça dépend…

- De quoi ? 

- Mina.

- Réponds juste ! 

- Disons que moi aussi, j’aime bien laisser ma veilleuse allumée. Ça te va ? 

- Ça m’va. Bonne nuit Zavier. Et n’aie pas peur. Mam’ et moi, on t’aime très fort et pour toujours.

- Tout pareil, ma Minouche. Tout pareil.