Le dernier vidéo club

Elle avait rencontré le type chez JM VIDEO, le dernier vidéo club de Paris

Il était bien plus âgé qu’elle et lui avait connu l’âge d’or de la VHS, au cœur des années 80

Séduite par son érudition cinématographique, elle avait accepté le verre qu’il lui avait proposé le lendemain soir par texto

Et voici qu’une belle nuit d’avril, après 3 verres de blanc sifflés dans son bar à vin de quartier, elle se retrouvait dans son antre, sa langue enfoncée dans sa bouche et ses doigts glissés dans son string

Tout allait trop vite à son goût

Comme de passer d’une bande-annonce prometteuse à la fin d’un film médiocre

L’homme lui avait vendu du rêve, du Autant en emporte le vent, et elle se retrouvait dans une mauvaise séquelle de 37°2 le matin

Tandis qu’il la doigtait maladroitement, elle balayait des yeux les tranches des jaquettes de cassettes et DVD alignés sur les étagères de la bibliothèque du salon

Irréversible et Love, tous les deux de Gaspard Noé, Nymphomaniac de Lars von Trier, Innocents de Bertolucci, Blue Velvet, son Lynch favori et bien d’autres encore

Elle en avait vu la plupart, en streaming, sur l’écran fissuré de son vieux MacBook Pro

Lui possédait une installation home-cinéma dernier cri, des baffles aussi hautes qu’elle et un écran mural géant

Il était à présent agenouillé entre ses cuisses, visage rougeaud et tempes veineuses, à lui lécher la chatte comme un chien boufferait ses croquettes

Tous ces films accumulés la fascinaient

Comment le mec avait-il pu en amasser autant en une seule vie

Le pognon qu’il avait claqué, la place que tout cela prenait

Il devait consommer les femmes de la même façon que les films

Compulsivement, excessivement, sans jamais appuyer sur pause

Elle ne prenait aucun plaisir, le temps lui semblait long, et pourtant elle comptait bien aller jusqu’à la fin de ce calvaire

Se taper un vieux comme on se fade un film de Rohmer, une étape laborieuse mais nécessaire dans le parcours d’un cinéphile, songeait-elle amusée tandis qu’il la limait mollement

Elle pensa à pousser le vice jusqu’à dormir chez lui mais sitôt la capote ôtée, il lui fit comprendre qu’il était l’heure de son Uber

Elle le revit deux mois plus tard, un soir d’été, au sortir du vidéo club

Il feignit de ne pas la voir, alla jusqu’à presser le pas

Elle s’y attendait plus ou moins et ne se formalisa pas

Elle eut juste le temps d’apercevoir entre ses mains frippées les deux films qu’il venait de louer, un Louis Malle de 78, Pretty Baby, et Beau-père de Bertrand Blier.