Sexe, mensonges & idéaux

La femme se leva et partit. 

Salomé resta seule à table, face à sa tasse de café crème. Elle la regarda s’éloigner, dans sa robe portefeuille rose clair, courte, nouée à la taille. Sidonie était grande, élégante, bien mieux foutue qu’elle et savait marcher en talons.

Un peu plus de deux heures durant elles avaient parlé calmement, échangé sans acrimonie à propos d’Elliott, conjoint de l’une, amant de l’autre.

Cocue mais résolue, c’est Sidonie qui avait initié l’entrevue, la veille au soir par téléphone. D’abord surprise, ensuite méfiante, craignant une rencontre-traquenard, Salomé avait finalement consenti à la rejoindre au Marigny, un troquet rue des Batignolles. 

Là, elle l’avait longuement écoutée plaider sa cause, celle de son couple, de sa famille. Ensemble depuis près de 15 ans, 3 enfants dont 1 en bas-âge, bien évidemment des problèmes, des ras-l’bol, des envies d’ailleurs, mais rien d’insurmontable, tout du moins à ses yeux. Alors en ce lundi de juin, sous un cagnard de saison, dans un air parisien saturé de particules fines, de crissements de pneus, de klaxons, elle sommait courtoisement Salomé de prendre ses distances, de s’éloigner d’eux, de leur couple, de les laisser tranquille.

Terminant son café à petites gorgées, Salomé bouillonnait. Elle songeait aux propos d’Elliott quant aux raisons qui l’avait poussé à franchir le pas de l’adultère, à la voir deux fois par semaine dans des chambres d’hôtel de luxe, le temps de fiévreux 5 à 7.

Comme une conne, et parce que ça l’arrangeait bien, elle avait tout gobé : la séparation imminente, les 10 kilos de grossesse pris jamais perdus, leur vie intime inexistante, les projets d’avenir à l’arrêt… Elliott l’avait bien baladée. Elle héla le serveur, lui commanda un verre de blanc. 

Deux autres verres plus tard, histoire de se changer les idées et de se mettre au frais, elle choisit de se faire une toile dans le cinéma d’à côté. Il était encore tôt, dans les eaux de 17 heures 30, aucune séance intéressante ne commençait avant un bon moment. Seul s’apprêtait à débuter un navet français, Les vengeances de maître Poutifard, avec un casting à se pendre, Christian Clavier et Isabelle Nanty. Un peu pétée, désabusée, elle se prit un billet plein tarif ainsi qu’un bucket de popcorn, sucré, taille moyenne. La salle était déjà bien pleine. Elle s’installa au dernier rang, à côté d’un quadragénaire venu voir le film en famille.

Au bout de 45 minutes, alors que Clavier déguisé en plombier Nintendo s’excitait aux commandes d’une grue, elle sentit la cuisse du papa venir frotter contre la sienne. Elle eut une pensée pour sa femme, pour Sidonie, pour les enfants des deux foyers et, à l’instant de lui en mettre une, se ravisa in extremis, se leva, sortit de la salle.

Dehors, il fait toujours aussi chaud. Les pneus continuaient de crisser, les particules fines de voler et les klaxons de s’exciter. Quant à Elliott, aux mecs maqués, ils continueraient de tromper. Le monde parfait n’existait pas, était-ce pour autant une raison pour accentuer sa perdition ? 

Assise sur sa selle surchauffée, elle supprima son numéro sans toutefois le bloquer, soupira, démarra son scoot, disparut dans l’air pollué.

Saturday night Tinder

Rosalie s’écœurait. Ses filles à peine récupérées la veille pour une semaine de garde alternée, elle les laissait à une nounou et filait retrouver un mec dans une chambre d’hôtel de l’ouest parisien. Comme le G7 la conduisait vers Le Château Frontenac, les mêmes questions tournaient en boucle dans les méandres de son esprit, le même petit vélo cinglé pédalait bon train dans son crâne : cela disait quoi d’elle ? qu’elle était moins mère que catin ? qu’elle avait perdu tout sens commun, évacué toute moralité ? qu’elle était pareille à ces hommes et femmes 2.0 qui couchent comme on reprend de l'air, qui marchandent leur corps et leur chair pour un peu d’égo reboosté, qui consomme du cul bon marché un peu comme n’importe quelle denrée ? 

Oh et puis zut, elle avait passé la journée avec Clémence et Capucine, elle pouvait bien s’accorder un peu de temps pour elle ce soir. 

Elles avaient fait l’ouverture des Galeries Lafayette, dévalisé les corners Maje, Mango, Urban Outfitters, pris un lunch chez Ladurée, ensuite passé l’après-midi au parc Rothschild, où leur copine Éléonore fêtait ses 11 ans. Pendant ce temps, elle s’était fadé les autres mamans près de trois heures durant, à papoter chiffons, soucis scolaires et crèmes de soins. Elle se sentait tellement loin d’elles, engoncées dans leurs quotidiens d’épouse dévouée, de mère modèle. Tout ça lui semblait désormais parfaitement étranger. Une autre vie. Une autre femme.

Arrivée à l’hôtel, elle s’annonça auprès de la réceptionniste puis fila jusqu’à l’ascenseur, son string Aubade trempé d’envie et ses paumes moites d’appréhension. Au fond, elle n’était pas vraiment inquiète ; elle avait vu le type en cam’, un argentin gaulé comme une statue grecque, au sourire franc, à la voix suave. Transparent sur ses intentions, il voulait prendre du bon temps lors de son séjour à Paris, une semaine en tout et pour tout. Ça la changeait des imposteurs à beaux discours et queutards masqués en tous genres qui sous couvert d’envie d’à-deux la sautaient après un resto pour la ghoster dans la foulée.

Elle quitta la chambre en pleine nuit, après six coupes de Veuve-Clicquot et trois orgasmes dont un anal, fait rarissime chez elle.

Dans le taxi du retour elle ressentit un vide immense, une peine vertigineuse, cette dysphorie si familière, l’effet cathartique de la baise qui déjà s’estompait. 

Les yeux embués, le cœur serré, elle songea à son programme du dimanche : devoirs des puces en matinée, déjeuner à Marnes-la-Coquette, chez ses parents, suivi d’une interminable balade où les reproches allaient pleuvoir, mais pour son bien ainsi que pour celui des filles, évidemment.

Déposée devant la grille de son immeuble boulonnais, elle décida de faire un tour dans le quartier avant de rentrer. Dans le fond de son sac à main, elle perçut son portable sonner, le tintement caractéristique du match sur Tinder. Ce truc était sans fin. Un aspirateur d’âmes, un abîme de désirs mort-nés, un vortex de vacuité, l’enfer sur Terre des femmes quittées.

Tandis qu’elle ressassait froidement, marchant bras croisés, tête baissée, elle se fit surprendre par Loki, le golden retriever que Nicolas, son ex, avait insisté pour garder au moment du divorce. Campé sur ses pattes arrière, le bon chien l’avait reconnue et lui grimpant dessus, tentait tant bien que mal de lécher son visage. Elle le repoussa gentiment tout en caressant son museau. À l’autre bout de la laisse, les doigts vernis d’un rose immonde lui firent deviner Amandine, la connasse de 31 ans pour qui Nico l’avait larguée. Elles se saluèrent d’un glacial Bonsoir sans même s’accorder un regard.

Quelques mètres plus loin, passant devant leur pavillon, Rosalie releva sa jupe, ôta son string encore humide, le glissa dans leur boîte aux lettres d’un sourire malicieux puis trottina sur ses talons jusqu’à son domicile, songeant que finalement, cette nuit s’achevait joliment.

Le mec bien

Sur les conseils - rarement avisés - de sa meilleure pote Déborah, Laure avait finir par dater un homme plus âgé, le frère d’Orphée, une collègue de bureau. Celle-ci lui avait vendu son cadet comme un vrai gentil, mûr à point. Un mec bien.

Le type, 42 ans, divorcé, deux enfants, était Data scientist, habitait la Garennes-Colombes et se passionnait pour la truffe. Sur les réseaux sociaux, il était membre de groupes aux noms toujours plus louches : Association des trufficulteurs lozérois, Mycopassion, Syndicat truffier de France, Truffes de Montcuq… Pire, il collectionnait les santons. Mais fatiguée des plans d’un soir, Laure était prête à quelques concessions en vue d’une histoire dite sérieuse, d’une complicité au long cours. 

Durant leur dîner en terrasse chez Livio, un italien fameux du centre de Neuilly-sur-Seine, elle avait pesé le pour et le contre : côté positif, Simon était plutôt bel homme, à l’écoute, financièrement à flot, adhérent actif d’Europe Écologie les Verts et non-fumeur depuis toujours. Revers de la médaille, il était chiant à se flinguer. Toute la soirée, elle avait dû meubler à coups de questions en rafales auxquelles il répondait d’un mot. Elle avait terminé par papoter comprimés Nicorette et patchs anti-tabac avec le couple de lesbiennes de la table voisine.

Au sortir du resto, un brin pompette et prise de court par son initiative, elle s’entendit répondre why not pour aller boire un verre chez lui. 

Dans son break Peugeot 308, elle songeait à Seb, son amant de 31 ans, à leur dernière soirée chemsex. Cela faisait combien de temps qu’elle n’avait rien fait sans planer ? MD, ecsta, coke, kétamine… elle avait pris le pli de baiser et jouir sous substances et s’il voulait la faire hurler, Simon allait devoir trimer.

Arrivée chez lui, elle s’enfila trois shots de Zubrowka puis lui réclama du vin rouge. À table, elle avait déjà sifflé à elle seule les trois-quarts du Château La Pointe, un Pomerol aux notes de fruits noirs, d’épices, de pain grillé, aux tanins élégants, racés, selon le sommelier.

Là, affalée dans le canapé, les yeux mi-clos, elle observait Simon, flairait toute son appréhension mais commençait enfin à lui trouver un peu d’esprit et sentait le désir monter. Une demi-heure plus tard, face à son trac de circonstance, elle finit par prendre le lead

Sa langue à peine passée sur son gland circoncis - il était membré comme un morse, elle s’en réjouit -, Simon vint dans une plainte aiguë.

Ressorti de la salle de bain après avoir fait sa toilette, c’était le terme exact qu’il avait employé, il prétexta une rando’ truffe & VTT le lendemain matin du côté de Champagne-sur-Oise pour la congédier poliment. 

Vexée, pétée et restée sur sa faim, Laure décampa et texta Seb depuis la banquette du Uber, sans succès. 

Avant de sombrer sur son lit encore à moitié habillée, un arrière-goût de foutre en bouche, son womanizer à côté, elle se jura de stopper net les rencards arrangés, les mecs dits biens car plus âgés et l’alcool pour s’encourager.

L'écharpe brune

C’était du temps de MSN, AOLYahoo! Messenger, ces logiciels passés depuis sur l’autre rive du web.

Yaël vivait rue Fragonard et, plus par flemme de ressortir à 22 heures passées que par envie d'inviter un parfait inconnu à domicile, elle m’avait accueilli chez elle sur fond de Myths of the Near Future, le premier album des Klaxons alors tout récemment sorti.

J’étais reparti au matin, réalisant sur le périph’ – le vent glacé fouettant mon cou – l’oubli de mon écharpe brune, souvenir cher à mon cœur, cadeau confectionné des mains de mon défunt grand-père. 

De retour dans mon studio, j’avais trouvé notre fenêtre tchat Meetic ouverte sur l’écran de mon moniteur Packard Bell : ton écharpe est restée chez moi, excuse en cashmere toute trouvée pour que tu viennes remettre ça.

Les jours, semaines avaient passé, nos envies s’étaient fait la malle, diluées dans d’autres discussions, étiolées dans d’autres liaisons.

Un an et des poussières plus tard, on s’était finalement revus un soir de printemps 2008 dans son nouvel appart’ cossu de la place du Venezuela. Ses cartons même pas déballés, l’écharpe oubliée attendrait. 

À nouveau, les mois, les saisons, les rencontres avaient distendu notre lien jusqu’à ce jour d’août 2015 où, de passage dans mon quartier, elle était montée pour la nuit. Juste avant de lever le camp le lendemain à l’aube, Yaël m’avait quitté d’un baiser tendre assorti d’une phrase chuchotée, Ta belle écharpe t’attend, bien pliée, au fond d’un tiroir.

Fin mars 2020, au cœur du premier confinement, je reçus un texto, illustrée d’une photo. Faute de crever du corona, je crève d’ennui. Alors je jette, je trie, je range. Ci-joint ta belle oubliée, précieusement conservée.

Mi-juin 2023, pour la cinquième fois en trois jours, un 06 inconnu au bataillon s’affiche sur mon écran tactile. Méfiant mais curieux, je décroche :

-       Bonjour... Xavier ?

-       Lui-même.

-       Je me prénomme Sarah. Je ne crois pas qu’on se connaisse. Yaël, ma soeur aînée, nous a quittés en tout début d’année. 

Sans réaction de ma part, la fille à la voix frêle poursuit :

-       En vidant son appartement, je suis tombée sur une écharpe, votre prénom et numéro écrits sur un post-it posé dessusJe crois que ma sœur adorée souhaitait qu’elle vous revienne. 

-       Vous ne croyez pas si bien dire.

-       Vous pouvez venir la chercher ou bien je peux vous l’envoyer ; comme vous voulez.

Le mercredi de la semaine suivante, en chemin pour aller bosser, je découvris une grande enveloppe dépassant de ma boîte aux lettres. J’en sortis mon écharpe, désormais doublement précieuse, et, sourire aux lèvres, larmes aux yeux, la dépliai. 

Ce 17 juin 2023, nonobstant les 28 degrés qui surchauffaient l'air parisien, je conservai l'écharpe au cou jusqu’à la tombée de la nuit.

Le jardin secret

Comme Zoé l’avait suggéré, ils s’étaient donnés rendez-vous dans un lieu public parisien aux airs de secret bien gardé. 

Ainsi, c’est un jeudi midi de juin qu’elle l’attendait, assise sur l’un des bancs en pierre du jardin Catherine Labouré, spot aussi verdoyant que méconnu du chic 7ème arrondissement.

Paper Thin Hotel de Léonard Cohen dans les oreilles, elle le vit arriver de loin, vêtu d’une chemise blanche, d’un jean brut et de baskets noires New Balance

Sous une tonnelle, face aux vignes et aux potagers, ils tâtonnèrent à coups de questions coutumières, de regards timidement lancés pour petit à petit se faire toujours plus appuyés.

Au sortir de l’endroit, il l’invita à L’Augustine, le resto du musée Rodin. Tout en dégustant sa salade Camille Claudel, elle l’écouta lui parler de son job de tech consultant, de sa passion pour les forêts - le terme exact était sylvophile, elle l’ignorait – et de ses voyages en Afrique où il rendait visite à son frère, chirurgien installé là-bas. 

C’est en milieu d’après-midi, dans un autre écrin de verdure lui aussi à l’abri des regards, le square Denys Bühler, qu’ils finirent par se rapprocher, se prendre la main, s’emballer. Les rares gens qui passaient par là les pensaient probablement ensemble et l’idée plaisait à Zoé.

En début de soirée ils prenaient un verre à la terrasse des Ursulines, un bar sans prétention niché dans un recoin de la rue Gay-Lussac, quand l’homme se mit à table. Il était en couple depuis près de dix ans et avait deux gamins. Elle fit comme si de rien, termina son spritz St-Germain puis le questionna sur ses dernières lectures et ses prochaines vacances. Décontenancé mais soulagé, le type ne se fit pas prier pour changer de sujet.

Vers 22 heures, ils marchaient rue Saint-Jacques quand Zoé l’entraîna par le bras vers l’hôtel Le Petit Paris. Elle prit une chambre pour la nuit sous les yeux médusés de l’homme. À trois reprises, il insista pour régler, elle refusa tout net.  

Comme pour se faire pardonner, il lui fit l’amour tendrement, un peu trop à son goût. Ils prirent ensuite une douche ensemble. Il la lécha sous le pommeau, la doigta jusqu’à la faire jouir de nouveau. 

Ils se rhabillèrent sans un mot, quittèrent la chambre peu après 1 heure du matin. Devant la borne de taxi, comme elle s’y attendait il proposa de se revoir dès la semaine suivante. Zoé déclina poliment, argua d’un planning surchargé et prit la route, direction son loft du 11ème.

Elle ouvrit la porte en douceur, découvrit les clés de Thomas dans le vide-poche de l’entrée. Il devait roupiller à poings fermés depuis longtemps déjà. Après s’être déshabillée, elle se glissa sous le drap tiède, roula de son côté du lit. 

Elle s’endormit en un éclair, heureuse de cette journée passée dans ces allées confidentielles, dans ces espaces verts aux allures de jolies cachotteries, dans cette chambre anonyme, dans son jardin secret.

#Balancetabrève

Voilà. 

Encore une fois, elle y était. 

Au même endroit, au même moment. Dans le plumard d’un mec, en pleine nuit, peu après avoir fait l’amour suite à un premier rendez-vous. 

Cette fois pourtant, tout était plutôt bien parti. Ils s’étaient parlés via LinkedIn, Enzo était chercheur en psychologie cognitive, elle avait trouvé ça charmant, interpellant, hors-norme. Ils avaient des gens en commun sur le réseau 2.0 et, bêtement elle le savait, ça l’avait plutôt rassurée. 

La semaine qui avait suivi, elle l’avait passée sur son téléphone à le lire du matin au soir, sur des sujets variés, pointus, atypiques : Pourquoi les chansons tristes nous rendent heureux, à quoi servent les faux rires à la télévision, de quoi Tik Tok est-il le nom... Séduite par son savoir, exaltée par son orthographe, c’est elle qui avait initié le passage au réel, de l’autre côté de l’écran. Une vraie rencontre s’imposait, à l’extérieur évidemment.

Ainsi, ils s’étaient retrouvés un dimanche soir de juin autour d’un plaid et d’un plateau pique-nique dans l’herbe des Buttes-Chaumont. Le type, un italien de Lombardie, était plutôt bel homme. Un chouïa petit à son goût mais bien bâti, le regard profond, la voix grave. Et puis, tout comme elle il était de gauche. Tout comme elle également, il trouvait sain voire salutaire d’abattre le patriarcat. Il approuvait le NON C'EST NON et validait pleinement les hashtags Twitter du moment, #noustoutes#metoo et #handsaway. 

Vers 23 heures, tandis qu’ils marchaient côte à côte, elle trouva glam’ et romantique de l’emballer pile devant une banderole murale, STEPHANIE, CECILE, MURIEL, AUDE, ON VOUS CROIT. Au contact de sa raideur elle dit oui à son dernier verre, à venir prendre chez lui, rue de la Chine.

La suite, elle ne la connaissait que trop bien. Une bouteille de blanc éclusée, des galoches, des préliminaires, une étreinte à n’en plus finir. Et là, alors qu’Enzo ronflait, elle voulait se tirer. En temps normal, elle s’en foutait, c’est sans scrupules qu’elle se barrait après avoir eu son orgasme. Et d’expérience elle le savait, du sexe dès le premier soir était synonyme de plan cul. Mais lui, elle l’aimait bien. Pour une fois, elle se projetait ailleurs que contre un mur, sur une table ou bien dans un lit. Elle s’en voulait d’avoir cédé, encore plus de vouloir partir. Qu’allait-il penser, au matin, découvrant sa fuite en loosedé ? En même temps, il l’avait invitée chez lui. Le gars voulait baiser, point barre. Et puis merde, elle n’avait rien signé. Elle voulait juste rentrer chez elle, dormir tranquillou avec son chat Jean-Luc, du nom du tribun politique. Punaise, on était en 2023, c’était une femme libre, affranchie. Pas de quoi culpabiliser. Passer pour une salope n’était pas - plus - son problème. De toute façon demain, elle voyait Isaac, son amant de longue date, son sextoy sémite comme ses copines l’appelaient. Il avait beau voter Macron et bosser pour le groupe Total, il n’en restait pas moins le coup du siècle, alors, régulièrement, elle le sollicitait.

Elle rassembla ses fringues, fila se rhabiller en douce dans le séjour, commanda son G7. Juste avant de quitter l’appart’, sur le grand miroir de l’entrée elle écrivit de son rouge à lèvres équitable siglé Born to Bio, #onselèveonsecasse.

Viol estival

Amis partis, restos fermés, bar désertés… Le soir en août, elle s’ennuyait toujours un peu dans son studio mansardé de la rue du Puits de l’Ermite. En picolant du Minuty, son rosé star comme elle aimait l’appeler, elle s’enfilait des séries en streaming, des films en VOD. Absence de bruits de pas, de portes qui claquent, de cris d’enfants : les voisins avaient mis les voiles pour divers enfers balnéaires, l’immeuble était quasiment vide. Seul le quadragénaire du haut semblait être resté à quai. Hermétique aux saisons, imperméable aux agendas des uns et aux congés des autres, durant ces deux mois suspendus, invariablement, il continuait d’accueillir chez lui des femmes à partir de 21 heures. 

Son mode opératoire semblait toujours le même, auditivement parlant du moins. 

Au premier acte, il leur passait du rock,  le Let it Bleed des Stones, Dark side of the Moon de Pink FloydPuis venait la phase électro. Résonnaient alors des morceaux compil’ Costes fadasses, criblés de beats d’hypermarchés, d’informes voix samplées, sans âme. 

Peu après, le martèlement de talons au-dessus de sa tête annonçait l’acte II. Elle le savait guidant sa proie dans sa chambre à coucher où des cris et des gémissements l’informaient de l’étreinte en cours. Arrivait enfin l’acte III, sans bande-son celui-là. Seul bourdonnait le glouglou de la tuyauterie, la douche post-coït signalant la fin de la fête, le départ imminent de la prise du moment.

La porte sitôt claquée, la musique reprenait. L’homme se passait alors du blues, un tube de Bobby Bland qu’il repassait x fois de suite, Ain’t no love in the heart of the city. Il concluait par du classique, là aussi toujours le même morceau. Le volume était si maousse, les cloisons et les murs si fins qu’elle avait pu le shazamer : la symphonie n°49 en fa mineur d’Haydn, La Passione. 30 minutes d’expression musicale lancinante, douloureuse, romantique.

Elle l’imaginait seul, allongé sur son lit, les yeux fermés, entouré de hautbois, de cors et de bassons, à rêver d’élans tempétueux, de passion sans pareil, d’amour inconditionnel. 

C’est là, lors de ce dernier acte, qu’elle s’endormait, amusée, apaisée, touchée par le partage à son insu de ce voisin dévoyé, par cet abandon dérobé, par cette intimité violée. 

Abus de bien-être

Faites l’expérience de la meilleure version de vous-même.

Voilà ce qui avait poussé Laure à s’inscrire au Tigre Yoga Club, nouvel espace bien-être situé en plein cœur du Marais. Après son cours de pilates, elle fila dans l’espace jus se servir un cocktail détox. Tom, le prof de Qi Gong était là, discutant avec deux élèves. Les filles en legging-débardeur l’écoutaient sans ciller, buvant ses paroles mot à mot.

Quand elles descendirent aux vestiaires, ils se rapprochèrent d’un sourire. Ils parlèrent approche holistique, cours de reiki et jeûne intermittent. Laure prétexta un intérêt pour ses stages Qi Gong Pleine Nature pour prendre son numéro puis fila se doucher.

L’après-midi, ils se textèrent du tac au tac et se retrouvèrent le soir-même dans un bar de Ménilmontant, La Fissure. Tom connaissait Pierre-Luc, le barman, généreux, showman au possible. Il leur servit son punch maison accompagné de tapas en pagaille.

Au cours de la soirée Tom l’abreuva de phrases toutes faites, de postulats bourre-mou, de pensées prémâchées, du style Rien n’arrive sans raison ou encore L’univers met toujours les bonnes personnes sur votre route pour vous aider à accomplir vos buts. Elle l’aurait bien aimé plus fin, plus subtile dans sa séduction mais sa belle gueule et sa carrure suffisaient à l’électriser. Après lui avoir proposé de lui révéler quelques secrets charnels taoïstes et lui avoir murmuré des mots sanskrits d’un ton grave, d’un air pénétré, il l’invita dans son studio de la rue Charles Renouvier. 

À moitié défroquée dans l’ascenseur de son immeuble, sa langue enfoncée dans sa bouche, Laure dégoulinait de désir à l’idée de la nuit de baise qu’ils se préparaient à passer. Tandis qu’ils filaient dans la chambre, elle avait en tête ces pratiques qu’il avait mentionnées au fil de la soirée : kung-fu sexuelfitness des organes génitauxtechnique de l’œuf de Jade… Crevant d’envie de le sucer, elle s’agenouilla devant lui et le débraguetta. Quand elle abaissa son boxer et découvrit son mini zob noyé dans un buisson de poils, elle en déglutit de dépit. Pas plus gros que ses testicules, elle crut voir trois œufs dans un nid. Le membre était si riquiqui qu’elle eut du mal à le branler, encore plus à le prendre en bouche. Pour couronner le tout, il éjacula sans prévenir dans les trois minutes qui suivirent. Tandis qu’il giclait sur sa langue, Tom marmonnait d’étranges mantras entrecoupés de râles porcins. Laure n’osait plus bouger, moins dégoutée par son sperme au goût bizarrement agréable que par la taille de son pinceau et l’impression qu’il lui donnait de sucer un sexe d’enfant.

Une fois qu’il se fut retiré, elle se rua dans la salle d’eau pour cracher, se rincer la bouche. Moins de cinq minutes plus tard, elle s’engouffra dans son Uber. Sur le trajet, fumasse, frustrée, elle prit la décision de mettre fin à sa période d’essai au Tigre Yoga Club et de se réinscrire dès demain à son CMG de quartier.  

Eigh'teen

Au début des années 2000, tout le monde achetait des CDs. 

Elle, du haut de ses 15 ans, en avait déjà quelques-uns mais rien de comparable avec l’imposante discothèque du type de 28 ans chez qui elle se trouvait ce soir. 

Ce jour d’octobre 2002, elle rentrait de son cours de danse quand il avait croisé sa route, devant les grilles du square Louvois.

Comme bien souvent à cette époque, dès 19 heures ses parents étaient de sortie, toujours chacun de leur côté. Elle n’aimait pas rentrer chez elle et trouver l’appartement vide. En ce temps-là, Insta, Snapchat n'existaient pas, les plateformes de streaming non plus, ces drogues digitales d’aujourd’hui aux airs de pilule bleue dans Matrix, ces néo-stupéfiants qui font passer le temps, ces anesthésiques au réel qui font voir la vie en pixels, soulagent les solitudes. 

Alors quand il lui avait proposé un verre au Vivienne, un bar du quartier, flattée, elle avait accepté. Deux cocktails Bellini plus tard, elle avait aussi dit ok pour aller écouter chez lui Songs for the deaf, l’album tout récemment sorti des Queens of the Stone Age.

Assise dans un des fauteuils club de son double séjour, elle l’avait observé chercher l’album parmi les milliers de boîtiers entassés sur ses étagères.

Il ne l’avait jamais trouvé alors lui avait proposé d’en choisir un à écouter. Face à l’immense mur de musique, elle avait fermé ses yeux en amande et pioché au hasard. 

18, de Moby.

Lui aussi venait de sortir. Allumant rarement la télé, n’écoutant jamais la radio, elle connaissait l’artiste de nom, sans plus. Elle scruta la pochette, face avant, face arrière.

18, comme 18 titres. 

18, comme le chiffre annoncé quand il lui avait demandé son âge. La coïncidence l’amusa.

L’album aussitôt mis, il l’attira vers lui, la déshabilla sauvagement. Elle renonça à se débattre.

Il la baisa sur 18

C’était sa première fois, alors elle eut mal sur 18, elle feignit de jouir sur 18, elle chiala sa mère sur 18.

Au moment de mettre les voiles, les cuisses rougies, le teint livide, il lui offrit le disque et griffonna son numéro sur un bout de papier qu’elle balança sitôt sortie. 

Cette odieuse relique audio, ce cadeau d’adieu, ce honteux fardeau, elle le trouva dans un carton un soir de ménage de printemps 2023. Moby avait plus que jamais le smile devant ce putain de ciel bleu.

Ce jour-là, elle bazarda bien des CDs mais, encore une fois, échoua à se défaire d’18.

Le vase

L’homme la suivait depuis maintenant cinq semaines. La première fois qu’elle l’avait vu, c’était début avril, rue de Crussol, juste en sortant de La Prune Folle, son petit resto de quartier. Leurs regards s’étaient rencontrés, sans étincelle particulière. Elle avait tracé son chemin. 

15 jours plus tard, il était assis sur un banc à quelques mètres d’elle tandis qu’elle prenait sa pause dej’ avec un collègue à la terrasse de L’inavoué, leur cantine habituelle du centre de Paris. Plongé dans un livre, La vie matérielle de Duras, il était à 10 mètres, planté, en évidence, tel une ombre en plein jour. Elle avait eu beau le fixer, il n’avait pas levé les yeux durant l’heure pleine qu’avait duré son déjeuner. Pourtant elle le savait, elle en était certaine, il était là pour elle. 

Deux semaines passées jour pour jour, elle l’aperçut dans le rétroviseur central de sa Mini Cooper. Il était au volant, ou plutôt au guidon d’une moto à l’aspect rétro. Quand il se mit à sa hauteur, elle reconnut What’s going on de Marvin Gaye, une chanson maintes fois entendue dans son enfance, sur la platine vinyle de l’appartement familial. Le feu à peine passé au vert, il abaissa sa visière noire, mit les gaz et s’évanouit dans le flux de voitures du boulevard Beaumarchais.

Le week-end suivant elle arriva en retard à la cinquième et dernière session de son atelier de kintsugi, cet art japonais symbolique de la résilience consistant à redonner vie à des objets brisés en sublimant leurs fêlures à l’aide de laque, de poudre d’or. C’est alors qu’elle le vit surgir de la station Bréguet-Sabin. Il montait lentement les marches mais son pas semblait assuré, déterminé, définitif. Cette fois, il la dévisageait. Elle plongea ses yeux dans les siens, et, étrangement, se sentit bien, comme à l’abri, immergée dans ce vert d’opale, noyée dans ces pupilles-trous noirs.

Elle finit par baisser la tête, pressa le pas vers le 14, rue Saint-Sabin, où avait lieu son cours.

Tandis qu'elle achevait la restauration de son vase, magnifiant les cicatrices éparses sur la porcelaine à coup de laque rouge et de poudre dorée, elle sentit ses pensées voguer vers l’inconnu et des détails de sa personne. Il fumait, elle venait de s’en rendre compte. Quand il apparaissait, c’était toujours une cigarette au bout des doigts, un paquet au creux de la main. Des Marlboro Red. Autre élément troublant, dans ces moments, ces instants suspendus, les effluves fraîches et épicées d’un même parfum lui parvenaient. Mélange corsé de poivre noir et de fougère boisée. La fragrance lui était franchement familière, sans qu’elle parvienne pour autant à en sourcer la provenance.

C’est au sortir de l’atelier, son vase restauré en mains, précautionneusement emballé, que la révélation lui vint.

JulesJules de Dior. Le parfum d’antan de son père, emporté au printemps dernier par un arrêt cardiaque massif. Incinéré selon ses dernières volontés, ses cendres restaient à disperser mais elle ne s’y résolvait pas.

De retour à l’appartement, elle déballa son vase, contempla les striures dorées. 

Dès le week-end prochain, elle se rendrait en Aquitaine, s’en irait transvaser les cendres de l’urne à son ouvrage achevé. Au moment de les disperser, elle le savait, l’homme saurait se manifester.

À l'air libre

Louis l’attendait sur la place Émile Zola, devant le bistrot Les mains gauches. C’était leur premier rendez-vous depuis son départ de la Clinique de la Bréhonnière, la semaine passée. De son côté, elle en était sortie il y a plus d’un mois déjà.

Durant tout ce temps sans se voir ils s’étaient textés jour et nuit, régulièrement appelés. De longues conversations sur leurs addictions respectives, leurs secrets de famille, leurs projets post-soins, aussi leur attachement croissant l’un envers l’autre.

Camille arrivée jusqu’à lui, ils se prirent longuement dans les bras, échangèrent un baiser pudique.

Installés en terrasse, ils commandèrent deux coke zero ainsi qu’une planche de charcuterie. Louis tout juste sevré, elle ne voulait pas le tenter et s’abstint de boire de l’alcool. Quand ils furent servis, elle se jeta sur la coppa qu’elle engloutit compulsivement avec des morceaux de pain-beurre.

Aujourd’hui, elle le découvrait à l’air libre. Loin de la clinique arborée, des chambres aux fenêtres condamnées, des salles de réunions destinées aux groupes de parole, des blouses blanches qui les encadraient. Louis semblait heureux de la voir mais paraissait absent, ailleurs. Entre deux anecdotes piochées dans son passé d’activiste écologique, il avala discrètement un comprimé de Baclofène. Histoire de ne pas le gêner, elle plongea les yeux dans son verre.

De son côté, elle tenait bon. La méthadone faisait le job et elle avait trouvé un taf, négociatrice immobilière. Largement de quoi s’occuper, en journée du moins. Les nuits étaient plus laborieuses : privée de ses soirées coco, dès 22 heures elle comatait devant Netflix en sifflant du Pouilly Fumé et s’enfilant des crocos Haribo. Elle s’empâtait de jour en jour, son corps de camée lui manquait. Dans la rue, les mecs se retournaient moins. Les 06 n’affluaient plus, les compliments se faisaient rares. Chaque matin, sa putain de balance Tefal continuait d’aggraver la sentence pondérale. Ses parents la veillaient comme le lait sur le feu, ses copines se passaient le mot pour lui proposer des sorties, passaient la voir juste comme ça. Elle sentait toute l’effervescence, l’ébullition de bienveillance autour d’elle. Cette sollicitude la gonflait, cette prévenance la tétanisait. Derrière, elle sentait bien l’injonction sous-jacente. Sois normale. Sois rangée. Sois saine. La veille, elle avait entendu cette phrase dans l’adaptation à l’écran du « Portrait de Dorian Gray », L’Homme veut simplement être heureux mais la société veut qu’il soit bon et droit. Et quand il est bon et droit, l’Homme est rarement heureux. Elle s’était repassée la scène, avait noté l’exacte réplique dans l’appli Notes de son iPhone.

Ils se quittèrent vers 15 heures 30, Louis avait un rendez-vous psy suivi d’un entretien d’embauche. Lui aussi avait ses consignes, son intimation d’aller mieux. Et lui aussi s’exécutait sans doute un peu plus pour les autres que pour lui-même.

Elle proposa de l’y conduire, il lui dit préférer marcher. Elle lui vola un baiser qu’il lui rendit mollement.

Depuis le siège de sa Nissan, sur fond de Time to pretend du groupe MGMT, elle accompagna du regard son pas lent, ses mains dans les poches, son regard rivé vers le sol.  

Ils étaient tous deux à l’air libre, mais à quel prix, dans quel état, et pour combien de temps encore ?

Elle soupira profondément, se mit en route pour la pharmacie Viarme afin d’acheter du Primperan histoire d’atténuer les nausées causées par la méthadone.

L'effet Tinder

Pour leur premier rencard, il l’avait emmenée pique-niquer en bord de Marne. Installés à même l’herbe – elle avait oublié son plaid – face à l’île Sainte-Catherine, ils buvaient un vin rosé corse et dégustaient la tarte maison qu’elle avait concoctée. 

Bientôt trois heures qu’ils échangeaient. Le jour déclinait sévèrement, l’air se rafraichissait, les bandes d’amis, les familles à poussette et les couples alentours levaient progressivement le camp. Elle le savait, tôt ou tard, il proposerait probablement de finir la soirée chez lui. À cette idée, elle stressait crescendo et n’avait toujours pas la réponse à la question qu’elle se verrait bientôt posée. 

Il y avait un hic.

De taille moyenne, mate de peau, belle gueule, bien foutu, il était physiquement son style. Sur le fond, vif d’esprit, doté d’une cinglante répartie, autrement plus érudit qu’elle, il l’avait tour à tour émue, intriguée, amusée, surprise voire excitée. Et puis il portait Encre Noire, ce parfum de Lalique aux notes de bois et vétiver qui la faisait vriller. Seule ombre à ce tableau dating prometteur par bien des aspects, comme la plupart des mecs il aimait s’écouter parler, sans doute un peu trop. Mais à dire vrai, en taiseuse patentée qu’elle était, son travers l’arrangeait plutôt.

Non, le problème était autre. 

C’était cette lueur dans ses yeux qu’elle voyait briller puis s’éteindre en un fragment de seconde. Tel un masque qu’il mettait et ôtait à l’envi, cette lueur l’interrogeait quant à son ressenti, ses intentions, son mindset comme disait Rosalie, sa N+1 chez Caudalie. Pensait-il à une ex ? était-il lunatique, sujet aux sautes d’humeur, voire bien pire, dysthymique ou encore bipolaire ? auquel cas, prenait-il un traitement ? peut-être s’ennuyait-il seulement ? si oui, en était-elle la source ? ou bien était-ce l’effet Tinder, la chair triste dans toute sa splendeur ?  Cet effet qui tue tout désir, étiolé par la profusion des profils rencontrés, étouffé par la multitude des peaux et des corps consommés.

C’est vers 23 heures 30, la deuxième bouteille de Casa Rossa vidée jusqu’à la dernière goutte, qu’il déclencha les grandes manœuvres :

-       Plus de rosé, plus de soleil, les degrés qui descendent en flèche… on poursuit la soirée chez moi ? 

ON-POURSUIT-LA-SOIRÉE-CHEZ-MOI. Cette phrase sans équivoque, cette question sans ambages, cette conclusion courue d’avance, cette perche tendue telle une queue raide agitée sous son nez, cette baise qui ne dit pas son nom, combien de fois l’avait-elle entendue en fin de premier rendez-vous ? En général, si tant est que le courant passe et que l’envie soit là, elle se laissait tenter et suivait volontiers le mec. Mais là, étrangement, définitivement, un truc clochait. 

-       C’est gentil mais je vais rentrer. 

-       Ah. Quelque chose t’a déplu ? Quelqu’un ? moi, par exemple ?

-       J’aurais du mal à te donner une réponse claire, satisfaisante. Simplement, je ne le sens pas.

Quelques adieux gênants plus tard, elle se retrouva seule, assise dans sa Fiat 500 rose poudré.

Elle mit le contact, alluma la radio, se cala contre le dossier, posa ses mains sur le volant, position 10 heures 10 et ferma les yeux un instant. Dans les enceintes, Lily Allen chantait The fear.

I am a weapon of massive consumption, and it’s not my fault, it’s how i’m programmed to function (…)  I don’t know what’s right and what’s real anymore… I don’t know how i’m meant to feel anymore…

Elle réouvrit les paupières, vit son reflet dans le rétro. Une lueur, la même exactement que celle de son rencard, passa dans ses yeux, disparut. Elle alluma son GPS puis fila prendre l’autoroute.