L'hôtel de l'air

En escale à Paris au Méridien Étoile, elle lui a filé rendez-vous au bar de l’hôtel

L’homme a insisté, il veut qu’elle se pointe au rencard dans son uniforme d’hôtesse

Elle se donne un dernier coup de blush, passe ses stilletos Max Mara quand son portable sonne

C’est son fils Octave en visio, dans son lit à La Réunion

-       Bah tu dors pas mon ange ? il est bientôt minuit pour toi…

-       J’y arrive pas. Tu m’manques maman. Hey, pourquoi t’es encore habillée, il est quelle heure chez toi ? 

-       21 heures en France. Je vais descendre boire un verre avec l’équipage. Mamie t’a bien donné ta Ritaline du soir ? 

-       Oui oui, après ma douche, comme d’hab. T’as pas d’amoureux en c’moment ?  

-       Personne dans mon cœur à part toi.

-       J’ai toujours peur que t’en rencontres un à Paris et que tu rentres plus jamais.

-       Arrête tes bêtises, mon chéri. Allez, dodo.

Quelques secondes plus tard l’ascenseur l’emmène au lobby

Elle reconnaît d’emblée le mec, assis devant un Moscow mule 

Cheveux mi-longs, barbe de 3 jours, blouson en cuir

Tout comme sur sa photo d’appli il a un air de Christian Bale, son acteur favori

Comme bien des hommes qui s’imaginent affirmer leur virilité sans avoir à parler, il porte Sauvage de Dior

Gentil mais timide à l’excès, le type peine à sortir trois mots et la conversation s’enlise

Elle meuble comme elle peut, rien à faire, son désir s’atrophie toujours un peu plus à chaque seconde qui passe

Elle profite d’un de ses bâillements pour couper court 

-       Tu sembles fatigué, et pour tout t’avouer moi aussi. Je ne vais pas tarder à monter me coucher.

Dépité, il proteste un peu, en vain

Beau joueur, il insiste toutefois pour régler l’addition, là aussi elle tient bon

Elle le raccompagne jusqu’aux portes automatiques, lui ressert un peu de small talk et le terrasse d’une bise cordiale

Son taxi finalement parti, elle retourne au bar, commande un Daïquiri passion

Plus loin le long du zinc, un grand barbu affublé d’un tee-shirt KARMA’S A BITCH et d’un tatouage GOD BLESS VICODIN sur l’avant-bras termine sa bière

L’homme a un bagout redoutable, il pourrait vendre une bible au diable

Et lui ne porte aucun parfum

Une heure plus tard, ils se galochent dans l’ascenseur et remontent ensemble dans sa chambre 

Perchée sur ses talons, elle tremble comme à sa première fois

Ses baisers ont un goût de malt, de non-retour aussi

Il l’effraie autant qu’il l’attire

Après le sexe, brutal mais efficace, elle s’éclipse sous la douche

Au sortir de la salle de bain, elle découvre le lit désert, son sac à main ouvert

Après une savante inspection, elle fait le point, seuls manquent à l’appel une boîte de Lamaline, un tube de Néo-Codion et tout son cash, quelques centaines d’euros

Un junkie, manquait plus que ça 

Elle va pour appeler la réception, se ravise aussitôt, elle entend d’ici les ragots et bruits de couloir dans l’avion 

Elle se glisse sous le drap, écoute quelques pages de son livre audio du moment, Kilomètre zéro de Maud Ankaoua, un de ces innombrables ouvrages feel good et sans grand intérêt

Style besogneux, intrigue niaise et clichés grotesques, tout y est

Elle coupe le sifflet du bouquin puis éteint la veilleuse 

Elle repart en vol dès demain et s’en réjouit

Juste avant de sombrer, elle songe au sosie chiant de Christian Bale, au colosse toxico et à quelques mots d’Orson Welles, tellement à propos

En avion, on n’éprouve jamais que deux émotions : l’ennui et la peur.