Ressac californien

Le soleil dégringole lentement dans les eaux froides du Pacifique tandis qu’on franchit tour à tour la porte du Old Fisherman’s Grotto, un restau de fruits de mer sans prétention situé à Monterey, ville portuaire nichée sur la côte ouest des USA.
Il est encore tôt et nous sommes les premiers clients, de fait un silence sépulcral règne dans la salle, boisée du sol jusqu’au plafond. Seule une des baies vitrées, attenante au quai bondé, rend le lieu moins fantomatique. La serveuse de l’accueil, croyant bien faire, nous place loin du spectacle de la foule, le long d’une autre baie vitrée, avec vue imprenable sur l’horizon crépusculaire.
- Tu parles d’une symbolique…
- Allez commence pas. Notre dernier dîner ensemble. Profitons !
- Facile à dire pour toi, Paris t’attend…C’est moi qui reste coincée ici, avec les touristes et les ploucs.
- Bah t’essaieras d’venir me voir…
- Tu sais bien qu’ça n’arrivera pas, lâche t-elle d’un ton définitif en plongeant le nez dans son verre de vin californien, qu’elle siffle à grosses goulées.
Nos plats servis, la discussion reprend doucement et, à mesure que je vide mon assiette et elle la bouteille de rouge, se tend.
- Vous les estivants, vous êtes comme la marée. Elle monte d’un coup, envahit tout puis se retire, laissant derrière elle un tapis d’algues visqueuses, toxiques, sur le sable…
- C’est l’quart d’heure poésie dis-moi ! dis-je en dépiautant mon poisson.
- Traduction pour toi, vacancier : j’en peux plus d’être le vide-couilles de connards en road-trip. Il faut qu’ça change.
- Bah c’est pas en t’alcoolisant et en jurant comme un biker que ça ira dans le bon sens.
- ….T’es conseiller matrimonial, en fait. Demande l’addition, on s’en va.
- Mais j’ai pas terminé ma sole…Et j’aurais bien pris un dessert.
- Pauv’ biquet. Demande un doggy bag. Je vais t’attendre à la voiture.
La note réglée, je retourne au parking, désert. Le cul posé sur le capot de la Mustang de location, je reste quelques minutes à contempler l’océan sombre puis, sans nouvelles de ma blonde locale, je me décide à rentrer à la chambre d’hôtes histoire de boucler ma valise.
Sur la route du retour, je retrouve finalement sa trace : assise en tailleur sur un muret de pierres, elle partage un spliff tout sourire avec deux types au look crâne rasé-débardeur. Au-delà du joyeux trio, au loin, de hautes vagues blanches viennent s’écraser sur les rochers luisants avant de repartir au large.