Perdre la main

Plus jeune, je dégrafais les soutifs à deux mains. Un peu comme on s’affaire sur le fil rouge et le fil bleu d’une bombe à deux doigts d’exploser. J’y mettais tout mon cœur, je tremblotais parfois, je déballais des corps aux airs d’offrandes de chair, je libérais des peaux d’un soir, d’éphémères épidermes croisés sur les applis, caressés à longueur d’écrits.

Au fil des rencards, des adresses, cette tendre et intime maladresse s’était rapidement mué en un acte d’expert, une routine d’habitué. Bretelles, armatures et bonnets, les dessous de mes proies n’avaient plus de secrets pour moi. 

En même temps que j’enchaînais les nuits, j’affinais toujours plus le geste. Mes amantes s’amusaient de cette dextérité, parfois s’en effrayaient. Moi aussi.

Hier soir, pour la première fois depuis bien longtemps, je me suis surpris à lutter devant les agrafes indociles d’un bustier modèle Aaron de chez Livy. Face à ma gêne tactile, la brune rare qui partage à présent ma vie a souri.

- On dirait bien qu’on a perdu la main…

Elle a sans doute raison, et elle m’en voit ravi.