Jour de fête

21 juin, la nuit tombée. C’est jour de fête de la musique. Dans les rues noires de monde, de notes, on joue et chante dans une belle ivresse musicale.
Façon renard qui, tard le soir, se risque aux abords de la ville et vient éventrer les poubelles en quête de restes à boulotter, je trottine jusqu’à mon rencard. Elle habite au pied de la butte où, ce soir plus que jamais, le pavé Montmartrois bat la mesure. Pas d’humeur à faire saigner mes tympans, je presse le pas et c’est plein de belles images à l’esprit que je compose le digicode. Je revois sa longue crinière sombre sur les photos du site et imagine un pubis noir jais aux proportions parfaites, pareil à un buis Versaillais taillé par Le Nôtre en personne. «Chacun sa fête » me dis-je en montant d’un pas aérien l’escalier en colimaçon.
Mais à peine m’ouvre t-elle sa porte, uniquement vêtue de talons, que la fête est gâchée. Visage grêlé par une acné tenace et pour poitrine deux figues desséchées qui pendouillent ; niveau minou c’est pas Byzance et encore moins Versailles ; la chose tient plutôt du dindon sous chimio que de l’arbuste fantasmé.
Me voyant figé, bras ballants, mon hôtesse m’invite à m’asseoir. Depuis ma chaise, je scrute la pièce, découvre un saxo posé dans un coin.
- T’en joues ?
- C’est mon métier…Tu m’as ram’né des clopes ?
- Ah, oui. Par contre elles sont restées dans ma selle.
L’occasion est trop belle.
- J’vais les chercher. J’reviens.
La nana n’est pas dupe. Son visage ravagé affiche un sourire résigné.
Arrivé à ma brèle, je zieute tous alentours : des groupes sans prétention qui jouent plus ou moins juste ; un public, amateur lui aussi, qui braille gaiement ; ils sont là pour l’ambiance et pas la performance.
Je prends les clopes et m’en retourne à mon rencard ; c’est d’un air surpris qu’elle m’accueille de nouveau. À présent habillée, elle sort une bouteille et deux verres. Tandis que je nous sers, elle tire sa première latte puis lance :
- T’as un morceau en tête que t’aimerais écouter ?
- « Let’s get lost », Chet Baker ? » dis-je en m’asseyant.
Elle hoche la tête, me tend sa clope, se saisit de son instrument et entame le divin morceau. C’est la fête quand même.