Amitié littorale

Réveillé par la sonnerie du portable un samedi d’avril, c’est paupières de plomb et sourcils grognons que j’articule un « allo » pâteux.
À l’autre bout du fil, Yaëlle, une bonne amie, semble avoir les mêmes peines que moi à émettre le moindre son distinct. La voix obstruée d'abondants sanglots, elle m’explique le topo : une résa  effectuée pour elle et son mec Dan à l’hôtel du Golf de Deauville, un potentiel week-end de rêve qui vire au cauchemar conjugal : à quelques minutes du départ pour le 4 étoiles niché sur la côte normande, elle vient de quitter l’appart en trombe suite à l’interception d’échanges sextos entre son jules et une collègue de taf. Elle me propose d’être son +1. Je lâche un « banco » sans entrain. Peu après dans la matinée, je grimpe d’une jambe mollassonne dans son Nissan Juke rouge grenat.
Les premiers kilomètres passés à chouiner se muent rapidement en rires de concert et en joutes verbales teintées de railleries complices. Les deux cent bornes avalées, on se gare devant l’imposant bâtiment tout en colombages et boiseries.
Sitôt son sac jeté sur le lit kingsize, Yaëlle attaque le minibar, s’enfile une mignonette de Jack.
- Hey, mollo sur la bibine, il est même pas midi. J’ai vu qu’ils prêtaient des vélos…On pourrait pédaler jusqu’aux Planches, aller trinquer au Bar de la Mer puis manger un bout au Ciro’s. T’en dis quoi ?
- Vas-y…Le temps d’un p’tit somme et d’une douche, j’te rejoins…
Vers 13h, comme je taille une bavette avec l’écailler du restau de plage, mon téléphone tintinnabule. Un selfie de Yaëlle à poil, dans la douche à l’italienne. Le pommeau collé au pubis, seins savonneux, yeux vitreux imbibés d’alcool, langue toute sortie.
- Pour quelqu’un qu’les sextos révulsent…
- Faut soigner le mal par le mal. Tu m’trouves comment ?
- Bandante. Pathétique mais bandante.
- Tu rentres à la chambre ?
- Pas envie d’un plateau d’fruits d’mer ?
- Plutôt d’une baise sur un plateau.
- T’as trop bu.
- J’ai trop faim.
- Mouais. J’arrive.
De retour à l’hôtel, je toque trois coups à la porte de la suite luxe, ponctués d’un malicieux « service d’étage ». Sans réponse, je fais jouer la carte magnétique. Sur la console du salon, un billet vert accompagné d’un mot manuscrit de Yaëlle sur du papier en-tête d’hôtel : « Dan a aimé mon sexto. Je rentre. Le séjour est réglé. Pour les extras fais-toi plaisir, ils ont mon numéro de carte. Ci-joint de quoi te payer le retour. Profite et pardonne-moi. »
Un copieux room-service plus tard, c’est en peignoir blanc et mules éponge que je me dirige vers le spa.