Un bon moment

Plantée à la dernière minute par son capitaine d’industrie de mari, ma bonne copine Nada me propose de les rejoindre, elle et son fils, dans leur résidence secondaire grecque, sur l’île de Santorin.
Si la luxueuse villa du couple m’offre un confort hors-norme avec sa vue panoramique sur les îlots volcaniques de la caldeira, sa piscine en émaux de verre aux teintes blanc-bleu et son jacuzzi taille colosse surplombé d’une pergola bioclimatique…Leur môme de 8 ans, lui, me réserve un accueil spartiate.
Sans doute déçu, et quoi de plus normal, qu’un quasi-inconnu remplace son père au débotté, il ne m’épargne rien, du moins les premiers temps : caprices intempestifs, râleries non-stop, regards assassins et conneries en pagaille. Au fil des balades en bateaux, des excursions sur l’archipel, des apéros mezze-saganáki et autres sessions de wakeboard, Liam se détend progressivement, sans jamais baisser totalement sa garde.
Le dernier matin du séjour, je l’emmène pêcher aux aurores sur les rochers de la Baie d’Amoudi. Rare moment « entre hommes » des vacances, Nada étant constamment de la partie, le bambin m’offre un tout autre visage : celui d’un enfant de 8 ans, curieux de tout, sans filtre.
- Et pourquoi t’as pris la place de papa ?
- Ton papa a beaucoup d’travail. Crois-moi Liam, il aurait préféré passer tout c’temps avec toi. Seulement…Bah quand t’es grand, tu peux plus faire tout c’que tu veux.
- Mais toi tu peux, regarde, t’es venu au dernier moment.
- Moi, c’est différent…
- T’as pas d’amoureuse et d’enfant, m’a dit maman.
- C’est vrai.
- Ben du coup moi j’pensais qu’t’aimais pas les enfants. C’est pour ça qu’j’étais pas content. Pourquoi t’en as pas ?
- C’est compliqué…
- D’en avoir ?
- Ouais, d’en avoir. De vouloir en avoir. De s’dire qu’on veut pas en avoir. De s'dire qu'on va pas en avoir.
- J’comprends pas.
- C’est normal ça, tu comprendras plus tard…Et encore, c’est pas sûr. Bon, ça mordille ?
- Nan…Tu m’as dit qu’ça devait vibrer et tirer sur le fil, j’sens rien.
- Ça va v’nir…Et si ça vient pas, c’est pas grave. On passe un bon moment, nan ?
- Ouais, un bon moment.