Fin de contrat

Dernier jour à l’agence. Dernières heures passées à occuper ces lieux, arpenter ces couloirs, croiser ces visages familiers, hostiles et amicaux, sentir ces présences quotidiennes, stimulantes et pesantes.
Mes dossiers bouclés et transmis, mon bureau ordonné, mes tiroirs vidés, je prends la direction « des canaps », point névralgique situé dans le hall de l’agence : on y bosse, on y bouffe, on y pionce, on y gueule, on y chiale, on y rit. Et on y fait ses adieux.
Cerclé d’une petite assemblée, un gobelet en plastoc en main, j’évoque une flopée de souvenirs : de gênants à géniaux, d’aigres-doux à tragi-comiques, d’ordinaires à inoubliables.
Mes cadeaux déballés - beaux bouquins, bons d’achat, disques vinyles et autres babioles en clin d’oeil -, j'enchaîne les tête-à-tête avec chacun, évoquant passé, présent et futur.
Quand vient le tour de Noémie, une brune à lunettes Pantos du service commercial avec qui j’avais pris la grisante habitude d’aller folâtrer aux chiottes femme du dernier étage, l’échange verbal tourne court :
- On s’offre une dernière fois là-haut ?
- Je suis pas certaine que ce soit une riche idée…
- Avoir des idées, c’est mon job. Et la meilleure dont j’ai pu accoucher ici, c’est bien nos pauses baise journalières.
- Tu sais, pour moi t’es déjà parti.
- Bah nan, la preuve, j’suis là, d’vant toi. Ce s’rait pas plutôt ton désir qui aurait pris la clé des champs ?
- Disons qu’il n’a plus d’raison d’être. Ce qui toi te galvanisait, c’était le côté clandestin…Et moi le côté quotidien…C’est gourde une femme, hein. Là, de savoir qu’on s’reverra plus, ça m’rend plus morose que mouillée.
- Rien n’nous empêche de remettre ça. Chez toi, chez moi, voire à l’hôtel…
- …Une fois tous les trente-six du mois. On n’avait pas signé pour ça, conclut-elle d'un haussement d'épaules tout en faisant claquer sa langue.
Après les dernières embrassades, je quitte l’endroit, zieute mon portable avant de monter sur ma brêle. Sur What’sApp, j’ouvre un message de Noémie : un selfie sexy d’elle seins nus, dans notre repaire sanitaire, assorti d’une légende maline :  "petite indemnité d'départ…".