Complications post-opératoires

Alitée depuis deux semaines, c’est avec un regard tendre mais inquiet qu’Anne-Claire m’accueille dans sa chambre de la Clinique de Turin. C’est après avoir longuement insisté qu’elle a finalement consenti à m’indiquer son lieu d’hospitalisation.
- Bon je t’avais prévenu, on est loin de l’Anne-Claire qui d’habitude t’ouvre sa porte en porte-jarretelles et stilettos.
- Arrête un peu…Y’a un peu d’« amis » dans « amants », nan ?
- Mouais. C’est sympa à toi de passer.
- J’imagine que t’as eu d’autres visites que la mienne…
- Un minimum. J’évite autant que faire se peut les regards apitoyés, les phrases de réconfort clichées et ceux qui pensent te faire du bien en te déballant leurs problèmes.
- Bon bah t’as gardé ton mordant, bien ça. J’aime pas t’voir dans cet enfer blanc, ce micmac de tubes transparents. Ça t’dit qu’on descende faire un tour dans le parc de la clinique ? Y’a un soleil de carte postale, tu pourras t’rembrunir un peu. P’têtre même faire du topless !
- Niveau vitamine D on m'donne c'qu’il faut ici, crois-moi.
- Et niveau cul ?
- Quoi donc ?
- Ça t’manque un peu, passionnément ?
- Pas du tout. T’as vu mon état, tu crois que je m’sens désirable…En tous cas, me parler de fesse en c’moment, t’as du courage ; pour mémoire, c’est d’un kyste pilonidal dont on vient de me délester. De nous deux, c’est quand même toi le plus malade.
- Malade, nan…En manque de toi, simplement.
- Et c’est moi qui fais peine à voir…Ici et dans ces circonstances, ça va être compliqué. Ce sera une branlette à la sauvette ou une pipe en express, pas plus. Surtout que l’infirmier doit passer m’donner mon Tramadol d’ici peu.
- Bah j’peux prendre les devants et aller le lui réclamer, histoire qu’on soit tranquille ensuite.
- Fais donc.
À mon retour dans la chambre, je trouve Anne-Claire assoupie, recroquevillée en chien de fusil, la zapette entre ses longs doigts. Sur le petit écran mural, CNEWS diffuse un vif débat où un docteur en sciences politiques spécialiste en rhétorique et une militante féministe s’écharpent sur la misère sexuelle des frotteurs du métro parisien.