Du grand art

Tiède nuit d’automne. Je presse le pas rue de la paix, illustre artère bling-bling désertée par ses touristes aux jambes lourdes, endormis dans leur lit d’hôtel. Bien à la bourre pour mon rencard, et pour cause : des clopes à lui dégoter- « Marlboro light long, deux paquets », ainsi qu’une bouteille de champagne – « Piper-Heidsieck de préférence » et de quoi grignoter - « frais et salé » m’a t-elle glissé. Vu l’heure indue de ma visite, la shopping list tient plus de la feuille de mission ; j’arrive néanmoins à sa porte avec les offrandes réclamées.
À peine entré dans sa chambre de bonne, elle me déleste de mes courses d’un sourire enjôleur. La pièce est en bordel, l’évier déborde de vaisselle sale. Tandis qu’elle déballe mes emplettes, j’ouvre discrètement le frigo, que je devine vide. Bingo.
Elle remplit nos coupes illico, s’allume une cigarette. Sitôt la première latte tirée, elle retombe en arrière dans son canapé défoncé.
Elle parle peu, boit beaucoup, gloutonne à grands coups de baguettes les sushis dénichés au Drugstore Publicis. Je meuble tant bien que mal, elle marmonne tout en mastiquant, remplissant de plus belle nos coupes, enfin surtout la sienne. Rassasiée, elle va pour s’en griller une autre.
Flairant l’arnaque, j’attaque ; elle esquive aussitôt.
- Pas la tête à ça…
- Ouais, t’es moins portée cul qu’estomac.
- Arrête...Écoute, je voudrais pas t’mettre à la porte mais à vrai dire j’suis exténuée.
En rage mais impuissant, je décampe sans même un regard comme un livreur sans son pourboire.
Retour dans la rue de la paix, que je remonte mâchoire serrée. Arrivé à ma brèle, je vais pour démarrer quand mon regard, interpellé par une masse sombre, coulisse direction place Vendôme ; le plug anal de McCarthy trône crânement dans l’obscurité.