Une vieille maîtresse

Quand je pose le pied sur le quai de la gare Rome-Termini, c’est avec un sentiment tenace de déjà-vu : un décor familier avec son ambiance habituelle, ses bruits typiques, sa marée humaine perpétuelle, en arrivage ou en partance. Et comme la sale impression de rentrer à nouveau dans l'antre d’une amante de longue date, qui me connaît mieux que personne.
Fébrile, je saisis la main de la fille qui m’accompagne, elle se fend d’un sourire complice.
Direction la ligne B, en route vers le Trastevere où nous attend l’appart loué. Cavour, Colosseo, Circo Massimo…Comme les stations défilent à rebours, mon angoisse monte. Nouvelle nénette mais mêmes visites, mêmes photos, mêmes cafés, mêmes restos…Le séjour s’annonce plaisant mais sans charme.
Une fois nos affaires déposées et le matelas du lit testé, on décolle en mode bons touristes. Le ciel est clair, la température idéale, j’ai malgré tout la sensation d’une lourdeur écrasante. Via Veneto, le Capitole, Villa Borghèse, Tivoli...: à chaque coin de rue, chaque monument, je croise un fantôme du passé, un bout de moi, d’une autre, et donc d’une autre vie.  Mêmes mirages cinglés aux abords des innombrables fontaines de la ville : de la piazza Navona à la fontana di Trevi, les nymphes sculptées dans la pierre et figées dans des poses lascives me toisent, goguenardes, amusées de nos retrouvailles. Tête baissée, méprisants, les chérubins eux m’ignorent copieusement tandis que gargouilles et lions dégueulent de l’eau en continu comme un déluge de temps qui passe. Rome ville éternelle, de fait seul et sublime témoin de l’éternel recommencement de nos vies tout en piétinements. Telle une vieille maîtresse, elle m’observe arriver, repartir, et puis toujours revenir, tout comme un mari malheureux, un amant sous emprise.