La concordance des temps

Bagneux, le cimetière juif. Fatigué de fixer le caveau familial et las de convoquer un Dieu qui n’a de place dans mes pensées qu’à la faveur de mes souffrances, je dégaine mon portable. Sur amours-russes.net, je booke Kira pour une heure en fin d’après-midi. Le site ne recèle à vrai dire aucune fille qui soit russe de souche ; Kira n’échappe pas à la règle, elle est d’origine lituanienne. Mais force étant de constater que la Russie reste de loin l’endroit le plus évocateur dans l’imaginaire de tout type qui fantasme sur les femmes de l’Est, l’agence d’escorts, en fin stratège, a opté pour le nom idoine ; amours-moldaves, ça fait tout de suite moins rêver.
Arrivé un peu en avance, je poirote au troquet du coin devant un ballon de Brouilly en zieutant les pages Sport du Parisien du jour. À 18h pétantes je frappe à la porte de son petit deux-pièces de la rue des Cévennes.
Kira m’ouvre nue en talons dans un décor désormais familier, exclusivement éclairé par des bougies de tailles diverses. Avec plus ou moins d’éclat, les flammes opèrent une danse lascive au son d’une musique d’ambiance.
Sitôt l’argent versé, elle me dessape d’un air mutin et part dans une pipe généreuse. Ma queue toujours flaccide après plusieurs minutes d’effort, elle interrompt sa turlutte.
- Tu n’aimes pas aujourd’hui…?
- Mais si…C’est parfait, comme d’hab’…J’crois simplement que là j’ai pas vraiment la tête à ça.
- Soucis ?
- Une date-anniversaire merdique…
- Tu n’avais pas du venir faire du sexe si tu aurais besoin de tendresse ; il y a un moment pour tout.
- La concordance des temps…
- J’ai mal dit ? Corrige-moi, je veux vraiment m’améliorer.
- T’as dit ce qu’il fallait. Exactement ce qu’il fallait.
Penaud, je reboutonne mon jean tandis que Kira, silencieuse, passe un déshabillé gris perle.
Sur son pas de porte, un peu gênée elle me murmure :
- Je ne peux pas rendre l’argent…Mais je peux te prendre dans mes bras.
Une étreinte appuyée plus tard, on se quitte d’un signe de main aux allures de geste d’adieu.