Coup de canif à Genève

J’accompagnais de temps en temps Pauline, une amie-amante mariée et maman, dans ses déplacements pros. Product manager dans une boîte suisse de cosmétiques, elle se rendait régulièrement au siège, à Genève, une ville aux trottoirs impeccables, au climat social apaisant et aux arcanes financières aussi saines que les fonds de tiroir d’un prêtre pédophile.
Le trajet et l’hôtel étaient toujours aux frais de la princesse, je n’avais rien à débourser si ce n’était les quelques plaisirs locaux auxquels, parfois, je succombais sur place. 
Mondialement réputé pour son horlogerie, sa coutellerie, sa chocolaterie, le petit pays transalpin possédait également un certain savoir-faire en matière de prostitution. Là-bas, les travailleuses du sexe comme on les appelait, étaient en effet titulaires d’un permis de travail de catégorie C et exerçaient depuis 1992 une activité indépendante non punie par la loi. Les ressortissantes des pays membres de l’Union Européenne et de l’Association Européenne de Libre Échange pouvaient elles aussi travailler en agence d’escort. Comme quoi, Bruxelles dans les années 2000 n’était pas Berlin en 39, enfin pas tout à fait.
Au fait de mes péchés mignons, Pauline me laissait quartier libre durant nos courts séjours. Elle n’avait de toute façon pas vraiment le choix. Cela étant, elle avait tout de même deux requêtes : qu’aucune femme autre que celle préposée au ménage n’entre dans notre chambre d’hôtel ; aussi que je réserve mes quelques soirées suisses à elle et à elle seule. J’avais toujours mis un point d’honneur à respecter les termes du contrat passé : je bookais les escorts uniquement en journée, les emmenais dans des hôtels situés à l’autre bout de la ville, et tachais toujours d’être de retour dans la chambre un peu avant son arrivée, vers 19h-19h30.
Mais un jour d’octobre 2018 ce qui devait arriver arriva, enfin arriva de nouveau : je m’amourachai d’une putain. Octavia, 23 ans, arrivée tout droit de son Saint-Pétersbourg natal, venait passer quelques jours à Genève histoire de remettre dare-dare son compte bancaire à flot et j’étais – enfin selon ses dires – son tout premier client.
Le fait est que cette jeune beauté slave au minois Lolitesque ne ménagea pas ses efforts pour me rendre fou comme un lapin. Ma résa initiale d’une heure tarifée 250 francs suisses, elle acceptait volontiers les euros, se prolongea bien au-delà du créneau initial. Après la baise, je l’invitai au restaurant du Four Seasons de Genève, IZUMI, un succulent japonais, puis la raccompagnai chez elle, enfin dans son boudoir vénal, via une balade sous la lune le long du quai des Bergues.
Quand j’entrai dans le hall de l’hôtel Rousseau, situé dans la rue du même nom, le cœur léger et le bas-ventre peuplé d’innombrables papillons, il était 23h40.
J’allais pour appuyer sur le bouton d’appel de l’ascenseur quand le concierge m’interpella :
- Monsieur... ! Madame Tahar m’a chargé de vous remettre votre bagage, bredouilla-t-il un peu gêné en sortant de derrière son comptoir mon sac de voyage noir en toile. Elle a également insisté pour que vous évitiez tout scandale nocturne dans les étages. Je me permets d’insister à mon tour.
Compréhensif pour ce brave homme et résigné concernant Pauline, j’empoignai mon sac et filai m’installer dans un des fauteuils à l’accueil. Octavia m’avait laissé son numéro pour remettre ça dès ma prochaine virée ici ; qui sait, peut-être pourrait-elle m’offrir le gite pour la nuit ? Après plusieurs appels sans réponse, je finis par tomber directement sur le répondeur.
Depuis mon Mac, je réservai alors une chambre simple à l’Ibis Centre Lac, à deux pas de la gare de Genève-Cornavin, un billet retour pour demain dès l'aube et dans la foulée commandai un Uber.