Trop d'eau sous les ponts

Neuf ans que Marie et moi nous étions laissés. Pourquoi, je ne saurais vous le dire, et sans doute qu’elle non plus. L’inconsistance de nos rapports, probablement. À l’époque, on se contactait du fait d’une envie, d’une pulsion. On se voyait alors, on assouvissait cette envie et puis chacun s’en retournait aux affaires courantes de sa vie. On se rappelait quelques semaines, voire quelques mois plus tard, restant toujours en équilibre à l’extrême bordure des pensées et préoccupations de l’autre, jusqu’à un jour tomber de l’autre côté du versant et dégringoler dans l’oubli.
C’est un dimanche matin d’hiver 2019, alors que je changeais mes draps, que Marie vînt se rappeler à mon bon souvenir. À l’époque de nos rendez-vous, que ce soit chez elle ou chez moi, nous devions procéder à d’indispensables préparatifs concernant la literie : mettre une alèse imperméable afin de prévenir les copieuses giclées que cette amante hors-norme produisait quand bien - enfin vigoureusement j’entends - doigtée ou pénétrée.
Sitôt mon lit fait, je farfouillai dans mon portable en quête de son numéro, en vain. Idem dans mon MacBook, pourtant pas de première jeunesse : adresse mail introuvable, Facebook désactivé, échanges MSN effacés. Je rallumai mes trois anciens iPhone, passai les textos au peigne fin, mais là aussi je fis chou blanc. Il me restait les pages blanches, enfin pagesblanches.fr, il y avait maintenant quelques temps que les encombrants bottins n’étaient plus distribués en tout début d’année. Je tapai son adresse à Saint Cloud, 69 rue Emile Verhaeren (comment l’oublier ?), en espérant qu’elle y soit toujours domiciliée. Le site m’afficha tous les locataires / proprios présents à ce numéro, dont une certaine Marie Dupuy. Dupuy. Marie Dupuy. Banco.
Au téléphone, elle avait d’abord été froide, méfiante, mais quoi de plus normal ? Au fil de l’échange, des souvenirs évoqués, elle s’était peu à peu radoucie pour à la fin carrément me proposer de passer en fin de journée, ce que j’acceptai volontiers.
Me rappelant son goût immodéré pour le champagne, sur le chemin je m’arrêtai chez Nicolas et pris une bouteille de Taittinger Cuvée Prestige, son préféré.
Quand Marie m’ouvrit la porte, ses yeux se jetèrent heureusement sur le sac jaune du caviste connu de tous. J’en profitai pour afficher un immuable sourire qui masquait autant que possible le fond de mon unique pensée : putain, en neuf ans qu’est-ce qu’elle a morflé. Facilement vingt kilos de plus, des bajoues de Mastiff (cette race de chien anglais au caractère doux et placide), une coupe à présent au carré assortie d’une frange cache-misère qui, avec son visage désormais poupon, lui donnait un faux air de Bécassine qu’aurait incarné Valérie Damidot sur grand écran. Soyons beau joueur, en presque une décennie, j’avais moi aussi très certainement pris un coup de vieux, mais je pensais tout de même être encore à peu près semblable à celui qu’elle avait connu, avec bien sûr quelques rides en plus et les chairs du visage certainement un peu moins toniques. Mais là c’était tout autre chose, Marie avait pris cher, très cher.
En prenant place sur le sofa, je le savais, je ne m’en sortirais pas comme ça. Au bout du fil, j’avais été pour le moins explicite : depuis elle, je n’avais pas connu d’autre femme fontaine et je voulais remettre ça, ressentir de nouveau cette sensation grisante de faire éjaculer ma partenaire façon geyser islandais. Tandis que Marie descendait coupe sur coupe, je sentais son ardeur augmenter, la mienne restant stable, c’est-à-dire au niveau de la mer.
Quand la bouteille fut vide, elle me prit par la main, direction sa chambre à coucher. Une large alèse recouvrait le matelas, les oreillers étaient par terre, de même que la couette et les quelques coussins d’ornement. J’avais davantage l’impression de rentrer sur un ring que dans une pièce dédiée aux plaisirs sensuels mais vaille que vaille, j’allais m’acquitter de ma tâche comme je m’en étais tant vanté lors de notre appel téléphonique.
Sans doute consciente de ma réserve, elle se déshabilla d’elle-même et s’allongea en travers du matelas.
- Allez vas-y, fais-toi plaisir. Et puis surtout, fais-MOI plaisir.
Toujours debout, encore vêtu, je fus soudainement pris d’une suée colossale.
Se tenant sur ses coudes, Marie m’observait :
- Et bah alors, c’est toi qui dégouline pour le coup. Ça va pas ?
- Juste le temps d’aller me rafraîchir, je reviens.
- Pour prendre une douche, c’est juste à gauche.
Penché au-dessus du lavabo dans la salle de bain aux teintes lavande, je tentai de reprendre mes esprits, ainsi qu’un peu de courage. Tandis que je relevai la tête, mes yeux se posèrent sur une des étagères surplombant la vasque. Divers flacons s’y trouvaient ainsi que pas mal de breloques, dont l’une retint mon attention : les lettres M-A-M-I-E formaient un petit bracelet argenté. Pris d’un doute – j’avais mal lu, c’était forcément M-A-R-I-E –, je pris l’objet entre mes doigts. C’était bel et bien un M. Quel âge pouvait-elle avoir aujourd’hui ? Enfin réellement. Il y a 9 ans, elle m’avait affirmé en avoir 40, ce dont je doutais à présent vu sa condition physique du moment. C’en était trop. Je sortis de la pièce tête basse, revint dans la chambre afin de la prévenir qu’il allait bien falloir en rester là.
Tout se passa très vite. Marie ne m’avait pas attendu, se masturbant copieusement de deux doigts fourrés dans sa fente. À peine me plantai-je devant elle qu’un interminable jet chaud vint m’asperger jusqu’au visage. Le cul relevé, calé sur un oreiller à mémoire de forme – il n’allait plus mémoriser grand-chose -, cambrée à l’extrême, haletant comme une laie en chaleur, Marie était hors de contrôle. Tandis que j’essuyai mes yeux, la brûlure était légère mais réelle, une deuxième giclée transperça le tissu de ma chemise, m’inondant par la même occasion du torse jusqu’au bas-ventre. La bande-son qui accompagnait ces projections d’eau mêlée de pisse et de cyprine était proprement terrifiante. Mamie, enfin Marie, gloussait, râlait, couinait, hurlait à s’en faire péter le larynx.
Je profitai de son état second pour m’en retourner au salon, ramassai mon blouson (sans pour autant l’enfiler), attrapai mon casque et décampai furtivement.
Neuf ans que Marie et moi nous étions laissés. Et après coup, c'était tout aussi bien ainsi.