Couleur Marilyn

Après l’amour sur le lit d’Ambre, mon regard s’attarde longuement sur le mur blanc cassé d’en face. Une reproduction encadrée y flotte. Sur l’image, on aperçoit Marilyn à l’arrière d’une limousine, vêtue d’une élégante robe noire, un gâteau d’anniversaire entre les mains, soufflant sur l’unique bougie plantée dans la crème multicolore. La mèche est éteinte (a-t-elle été jamais allumée ?), les fenêtres latérales du véhicule totalement obstruées par ce qui semble être un tissu opaque, rembourré. Marilyn paraît plus isolée que jamais. Qui a pris la photo ? son chauffeur, son garde du corps, un journaliste privilégié, un photographe accrédité ? 

Le blond platine de sa crinière rappelle les teintes de l’habitacle ainsi que les dorures de l’engin, présentes sur les lève-vitres, poignées d’accroche et autres diverses commandes de bord afférentes à la portière. Le cliché, superbe, dégage un sentiment de joie factice, de solitude exacerbée, de tristesse infinie.

Sympa cette repro. Nouvel achat ? 

- Oui, elle te plaît ? 

- Beaucoup. Marilyn est belle à tomber mais semble terriblement seule. Sur cette photo, j’vois non pas une, mais deux bougies éteintes. Dire qu’elle est morte à 36 ans. Jeune et belle pour l’éternité, au prix d’une vie sacrément raccourcie.  

 C’que tu peux être plombant quand tu fais ton poète maudit.

- T’as raison, va. Oublie.

- Voilà, on va faire ça. Allez, on dort si tu veux bien, j’suis claquée et demain j’pars tôt, j’ai une réunion à 8 heures. Doux rêves de Marilyn. Mais n’oublie pas, la seule à souffler ta bougie, c’est moi. 

- T’es chiante. Bonne nuit. 

Sitôt Ambre endormie de son côté du lit, je me lève, tâtonne jusqu’au mur, décroche Marilyn de son clou et file, direction la cuisine. Je m’y sers un verre de Chablis que j’avale à petites gorgées, la photo placée devant moi. D’un coup d’œil à ma montre, j’avise l’heure, minuit quarante-cinq. Me voilà depuis trois quarts d’heure plus vieux d’une année. Ambre y pensera demain, ou pas. Je me ressers un verre de blanc, les yeux rivés vers Marilyn, de son vrai prénom Norma Jeane. 

La photo date du 1er juin 1956.

Je sursaute et pivote sur mon tabouret tandis qu’Ambre poursuit son explicitation depuis l’embrasure de la porte. 

Comme toi, elle était du signe du gémeaux. Ce jour-là, elle a pris l’avion depuis Los Angeles pour New York, à l’invitation du président indonésien de l’époque qui souhaitait la rencontrer. Elle avait tout juste 30 ans. J’ai pensé qu’elle irait bien chez toi, que tu saurais lui faire une place. Très joyeuse quarantaine, mon Xav’.

- C’est mon cadeau d’anniversaire ? 

 Le premier, oui, me lance Ambre d’un regard mutin avant de venir saisir mon poignet et de m’entraîner vers sa chambre.

À l’instant de m’étendre, un peu moins jeune, un peu plus apaisé, j’envisage la star d’Hollywood, restée là-bas, dans la cuisine, à l’arrière de sa limousine et souris en songeant que tous les anniversaires devraient être couleur blond platine, couleur Marilyn, teintés de sublime et de spleen.