Crampe en classe écologique

J’avais croisé Doris, une métisse tout droit sortie d’un book d’agence, dans les allées de Ground Control, un ancien centre de tri postal situé dans le 12ème arrondissement transformé en squat éphémère. S’y pointaient principalement bobos, hipsters et autres vegans parigots. Halle à manger, potagers bio, bars (à vins, à cocktails...), galeries, ateliers, conférences, espaces créatifs…Les occasions de s’attarder sur les nombreux stands et étals ne manquaient pas et c’est alors qu’elle disposait sa collection de lampes homemade que je l’abordai :
- Ils sont superbes, vos luminaires. Tout est à vendre ?
- Affirmatif. Mon cul lui par contre reste ici, répondit-elle du tac au tac, sans même se retourner.
- Pardon ?
- Bah oui, il n’éclaire pas, voyez-vous. Plus sérieusement, je vois votre reflet dans la vitrine le reluquer depuis maintenant un bon bout de temps.
- Niveau lumière, j’avoue, j’ai déjà tout ce qu’il faut chez moi.
- Et niveau cul, vous n’en avez jamais assez... Un mec, quoi.
Passé la joute verbale introductive, je l’invite à me tutoyer ainsi qu’à boire un Gin Tonic quelques mètres plus loin, dans une carlingue d’avion reconvertie en speakeasy*.
- Allez, pourquoi pas. Repasse d’ici une petite heure, une pause Gin Tonic me tente bien.
Enfin installés face à face dans l’habitacle du coucou, Doris m’explique sa démarche artistique :
- Mon truc, c’est la conception de structures, suspensions et abat-jours décoratifs. Je travaille principalement le tissu et le papier pour filtrer la lumière. J'aime aussi détourner des objets chinés dans des brocantes, trouvés sur les trottoirs, afin de leur offrir une seconde vie, leur donner une vocation lumineuse. Vieux radiateurs, valises hors d’âge, feux rouges, mixeurs…Tout y passe.
- Et tout s’allume… Mais tout se vend-t-il ?
- Pas évident en ce moment. Les gens regardent, touchent, prennent, reposent. D’ailleurs dans le genre, j’te sens expert.
Le nez plongé dans mon verre, je tente de planquer mon rictus de puceau pris en flag' en séance branlette puis d’enquiller :
- Tu crées tout ça en atelier ?
- Si on veut : sur un bureau, dans un coin de mon p’tit studio.
- J’aimerais bien te voir à la tâche. Assembler, façonner, illuminer, voir tes créations prendre corps.
- Ben voyons. Tu consommes responsable au moins ?
Devant mon air perplexe, elle reformule :
- Tu te protèges ?
- C’est mieux, oui.
- Et tes relations amoureuses, c’est du genre développement durable ou plan d’un soir non recyclable ?
- Je pratique le tri sélectif.
- Je vois. En somme, avec toi, on finit toutes à la poubelle.
- Ou bien aux encombrants. Toi qui œuvres dans la récup’, ça devrait t’plaire.
- Rassure-moi… Ta connerie, elle est biodégradable ? s’amuse Doris, déjà debout.
- Tu files ?
- J’ai la nausée. Et l’équipage semble avoir oublié de fournir les sacs à vomi.
Resté seul dans l’avion sans ailes, j’observe à travers le hublot le cul de la jolie créole se fondre dans la faune bio-friendly.

* speakeasy : type de bar clandestin américain particulièrement répandu durant l’époque de la Prohibition. Le terme s’emploie aujourd’hui pour désigner un bar à cocktails.