Terreur nocturne

Lettres d’amour d’une nonne portugaise, Ça barde chez les mignonnes, Le pénitencier des femmes perverses, Une vierge chez les morts-vivants : j’avais pris cher ce soir d’été 2018 en acceptant d’accompagner Garance, une copine connue en primaire, à la Cinémathèque française. En commerciale chevronnée, elle m’avait bien vendu cette soirée hommage à Jesús " Jess " Franco, un cinéaste spécialisé dans le genre horreur-érotique, le pape de la série Z* cra-cra.
- Les canines ont transpercé les lèvres et déformé le clitoris… C’est c’que faisaient les premiers vampires… Ils aspiraient ainsi l’énergie de leurs victimes, les laissant exsangues.
- Ce que vous dites est absolument terrifiant ! Ces démons doivent être anéantis !
- Pourquoi ? Comment savoir si le plaisir ressenti par les victimes ne vaut pas la vie ?
C’est le crâne farci de ce genre de lignes de dialogue hautement philosophiques qu’on quitta la salle obscure, la bouche sèche et le ventre vide.
- Allez, pour me faire pardonner je t’invite à l’appart’, t’auras juste à mettre les pieds sous la table ! Spaghettis sauce tomate maison pour mon pote de toujours !
Arrivés dans sa piaule, Garance sort de quoi mitonner, je débouche le blanc bon marché dégoté chez son p’tit arabe. Tandis que chacun s’affaire, on débriefe la soirée nanardesque :
- T’avoueras, l’érotique et l’horreur, c’est quand même pas le meilleur mix.
Garance pouffe et rétorque :
- Pas d’accord. Pour moi ça va même de paire : quand je mouille j’aime hurler. Et le mélange rend plutôt bien à c'qu’il paraît.
- Vu comme ça, forcément.
- Nan mais sans déconner… Avec les mecs, j’aime jouer à me faire peur. Ça m’excite comme t’as pas idée. Tu le sais mieux qu’personne, j’me jette toujours sur des pièces de choix : le jaloux maladif, le fétichiste cleptomane, le camé autodestructeur…
- Ouais, enfin, j’imagine que ça vire rarement au bain de sang…
- La souffrance est mentale, c’est pire. Mais va comprendre, j’y trouve mon compte ! s’exclame Garance, le dos tourné, tout en goûtant la sauce tomate.
- Stimulant, cette ambivalence. Et si j’ te disais là, tout d’suite, que ton vieux pote d’enfance bande pour toi comme pour aucune autre ? qu’il meurt d’envie de te baiser ? que ça m’ronge depuis des années ? que je partirai pas d’ici sans t’avoir prise jusqu’à l’orgasme ?
Garance sursaute, lâche sa cuillère qui vient ricocher sur le sol et asperger le mur de gouttes rouge sang coagulé. Elle se tourne, blême, et d’une voix blanche, tremblante, à peine audible, me lance :
- Écoute, c’est peut-être mieux que tu rentres. Cinq heures de péloche, ça assomme. D’ailleurs moi aussi, j’suis vannée.
Voyant mon large sourire muet, elle tilte.
- Abruti, tu m’as fait flipper !
- Comme quoi… L'horreur pure c'est pas mal aussi, nan ?
Nos assiettes et nos verres remplis, on part s’installer sur son pieu pour un énième visionnage de Psychose.



*La série Z est le parent pauvre de la série B, qui est elle-même le parent pauvre du grand cinéma.