Tendre exorcisme

Comme on redoute la guerre, la maladie, la mort, Flore redoutait l’été. Ses enfants partis en vacances, les soirs et week-ends elle se retrouvait seule chez elle, naufragée estivale dans son grand pavillon banlieusard de La Garenne-Colombes.
Ces pièces trop grandes, baignées d’un silence écrasant que seuls quelques bruits ménagers – frigo, ventilation, chauffe-eau – venaient rompre ponctuellement, elle m’invitait à venir les peupler le plus souvent possible durant ces huit semaines sans fin.
Je débarquais à la nuit tombée, on passait des vinyles de soul, on préparait des plats qu’on avalait ensuite du bout des doigts, on vidait des bouteilles tout droit sorties de son imposante cave à vin, on se faisait couler des bains mousseux dans l’une des trois spacieuses salles de bain, on baisait çà et là, au hasard des portes poussées, des meubles sur lesquels s’appuyer.
En fin de nuit, on se quittait toujours un peu avant mon départ ; tandis que j’enfilais mes fringues elle déposait un baiser furtif sur ma joue avant de disparaître quelque part dans l’immense demeure. Surpris les premières fois, j’avais fini par m’habituer, mettant ça sur le compte de son statut de veuve : Flore abhorrait les au revoir, les séparations qui s’attardent, les adieux en tous genres. Passer d’une pièce à l’autre s’avérait certainement pour elle la transition la moins pénible, voire même annonciatrice de retrouvailles prochaines, comme on délaisserait son conjoint le temps d’une douche à prendre, d’une nuisette à passer. À mon arrivée, c’était d’ailleurs le même rituel : la porte était ouverte et, comme un époux retrouve sa femme, je la découvrais à vaquer tantôt dans la cuisine, le salon, une des chambres.
Un jour que je me resapais, elle est restée.
Nue, assise face à moi, sur le petit tabouret mauve de sa coiffeuse, tête inclinée, elle me fixe alors sans ciller.
- Bah quoi, me regarde pas comme ça.
- Comment ?
- Comme si t’avais vu un revenant…
- J’ai justement besoin de te voir t’en aller.
- Pourquoi ça ?
- Ne plus t’appréhender comme une apparition. C’est certes confortable mais bon... Marre de croire aux fantômes et vivre parmi eux. Même si, en parlant de fantômes, je dirais pas non à me réveiller avec toi d’ici quelques heures et te découvrir là, à mes côtés, nu sous le drap blanc.
- Tu parles d’un exorcisme…Mais tu sais quoi, l’idée m’plaît bien.
Peu après, à l’heure où les premières lueurs glissent à travers les stores, on s’endort enlacés.