Entente hors limites

Le type m’attendait en bas de chez moi. Un costume sûrement hors de prix, une raie blonde impeccable, un regard gris comme un ciel d’hiver.
Depuis quand ? Une heure, deux, trois ? Sa femme en jeu, il aurait pu m’attendre toute une vie. Il voulait savoir. Depuis quand, comment, où, pourquoi.
J’ai proposé un café quelque part dans le quartier, il a demandé à monter. Voir faisait partie de ses plans.
Une fois la porte refermée, façon flic en service, sans toucher à quoi que ce soit il a tout inspecté : les bouquins, les 33 tours, les rideaux, les tableaux, les meubles et autres objets disposés…
- Alors c’est ici. C’est là que vous baisez ma femme.
- … Entre autres.
- Parce que vous allez aussi à l’hôtel ? Elle ne m’en a rien dit.
- Nan… C’est juste qu’on fait d’autres choses… Et que réduire ça à du cul… Bref, votre femme n’est pas une salope et je ne suis pas votre ennemi.
- Alors quoi ? On démarre un ménage à trois ? On l’annonce en chœur aux enfants ?
- Écoutez… De mon côté, tout ce que je peux faire, c’est disparaître.
- Pour mieux réapparaître dans ses rêves et fantasmes. Vous le savez aussi bien que moi, la priver de vous pour toujours, c’est la perdre à jamais.
- On est d’accord. Comme tout bon sevrage, il faut que la démarche vienne d’elle.
- Je crois que c’est ça le plus dur. J’aurai beau sortir le grand jeu, la surprendre jour après jour, la couvrir d’amour, d’attentions…
- Ce que vous faites déjà…
- Elle vous l’a dit ?
- Vous la comblez, c’est un fait.
- Alors pourquoi vous fréquenter ? Vous ou un autre, d’ailleurs… Où est le problème ?
- Je vois plus la chose en termes de limites.
- Je vous écoute.
- Ponctuellement, elle a peut-être d’autres envies, d’autres besoins.
- Du genre ?
- S’échapper, sortir du cadre conjugal… Outrepasser certaines limites. Vous êtes son roc, son phare... Mais vous personnifiez ces mêmes limites. Et moi, ou comme vous dites, un autre, sans doute un peu ces petits excès qui la grisent.
- À vous entendre, c’est sans issue.
- En tout cas, pas sans enjeux : votre mariage, vos deux enfants, sa stabilité affective. Elle sait tout ça. Elle prendra la bonne décision.
- Et vous ? Saurez-vous vous en contenter ?
- Bah moi, j’veux surtout pas d’complications. On parlait de limites… Le mari qui débarque chez moi, voilà la mienne.
- Vous avez déjà aimé ?
- Ça date.
- Oui, je vois ça… Vous affichez un tel détachement, un recul qui fait froid dans l’dos. Au fond, de nous deux, je ne suis même plus sûr d’être le plus à plaindre. Même si niveau gestion émotionnelle, ça doit avoir ses avantages.
- Comme vous dites. J’vous offre une bière ?