Entrevue salutaire

À moins d’y avoir des amis, de la famille, un conjoint, il est des rues parisiennes que l’on n’arpente jamais ; la rue des Eaux est de celles-ci. Au détail près que s’y trouve une antenne du consulat d’Algérie.
C’est devant cette oasis diplomatique, aux aurores, tandis que je sors d’une nuit blanche, que, me dirigeant vers ma brêle garée à quelques numéros, j’aperçois Lamia, le cul posé sur le trottoir, la tête enfouie dans ses jambes ramassées.
- Ça va aller ?
- Oui, oui, merci ; j’attends 8h30, que ça ouvre, me répond-t-elle en sanglotant.
- Ça vous met dans un drôle d’état, d’attendre.
- C’est que j’ai peur.
- De…?
- Qu’ils refusent de me faire un prêt.
- De…?
- D’argent.
- Ah ben, désolé de vous l’dire comme ça, mais vous pouvez toujours prier Allah... C’est un consulat, pas une banque.
- Je n’ai rien dans ce pays. Pas de compte, pas de carte. J’ai suivi mon mari ici, en France. Il est violent. Je veux rentrer.
- Aie. Bon, bah à défaut de vous renvoyer chez vous en first, ils ont sûrement de bonnes adresses. En tout cas, il est même pas 7h30, vous en avez pour une plombe. Un café pas loin, ça vous dit ?
- Plutôt un thé.
Au Kennedy Eiffel, on s’installe au fond de la salle, Lamia lorgnant d’un œil inquiet vers les habitués du lieu, déjà cigarillo en bouche et verre de blanc à la main. Puis se tournant vers moi :
- Les hommes boivent de bonne heure, ici.
- Le folklore français…
- Mehdi, lui, ne boit pas une goutte. Mais dites-moi, vous n’alliez pas au travail ?
- Pas vraiment, je sortais de chez une copine.
- Si tôt ? Ah, c’est votre petite amie.
- Voilà. En gros.
- Je crois avoir compris. Vous ne la frappez pas, j’espère.
- Sur demande uniquement.
- Sur demande ?
- Bah, au lit quoi, elle aime que je lui claq-…
- Stop. Et donc vous ne travaillez pas ?
- Non.
- Pas d’épouse, des pratiques malsaines avec des filles d’un soir, sans emploi… On croit toujours que c’est mieux chez les autres, et puis…
Son portable retentit.
- C’est lui. Mehdi, mon mari. Excusez-moi, je sors d’ici pour lui répondre.
Un bon quart d’heure plus tard, les consos réglées, je quitte le bar. Sur le trottoir d’en face, sous l’abribus, j’ai juste le temps de croiser le regard fuyant de Lamia avant de la voir s’engouffrer entre les portes du 72.