La thérapute

Ma machine à laver en rade, je fourre mon linge sale dans un sac et prends la direction du WASH'N DRY de la rue de l’Église. 

Il est 19h30 passé, l’endroit est quasiment désert. Seule une métisse d’une trentaine d’années environ patiente, le nez plongé dans un bouquin, Bible de l’herboristerie.

Planté face au mur de machines SPEED QUEEN, je tapote timidement sur les boutons de l’une d’entre elles.

-       Le distributeur de lessive est par là, m’indique la fille en désignant du doigt une armoire suspendue au mur.

-       Ah…

-       C’est votre première fois ici ? 

-       Ça s’voit tant qu’ça... Vous êtes une habituée ?

-       On peut même aller jusqu’à dire que je fais partie des murs. Je viens là cinq fois par semaine. 

Le programme court 40° lancé, je la rejoins sur l’un des tabourets en bois à disposition des clients.

Hanna m’explique alors qu’elle a son cabinet pas loin et qu’elle est ici chaque soir pour laver ses outils de travail, comme elle les appelle.

Devant mon regard étonné, elle continue :

-       J’ai deux casquettes. Naturopathe et escort girl. De 9 heures à 13 heures je reçois mes patients, de 14 heures à 19 heures j’accueille mes réguliers. Je passe ici après, laver draps et serviettes.

-       Quelle organisation, dites-moi. Le mélange des genres vous convient ?

-       Je n’ai pas le sentiment de tellement mélanger… quelle que soit mon activité, je soigne. Une libido aux abois vaut bien des problèmes d’insomnie, une carence en tendresse n’est pas moins dommageable qu’un déficit immunitaire.

-       Vu comme ça… Mais bon, vous avouerez tout de même qu’il y a un monde entre sexe et soin, entre envie et besoin.

-       Poursuivez…

-       Le besoin est animé par une pulsion de vie, l’envie, elle, par une pulsion de mort, de destruction. Freud, Winnicott, tout ça, tout ça.

-       C’est un peu caricatural, non ? Je dirais plutôt que derrière chaque envie, il y a un besoin. 

-       Exemple ?

-       Et bien… tout comme sur le plan professionnel une envie de promotion révèle généralement un besoin de reconnaissance, sur le plan personnel une envie de caresses traduit, elle, bien souvent, un besoin d’affection, d'amour. 

-       Tu parles d’un lavage de cerveau. Je suis pas venu là pour rien. 

-       Vous me faites rire ! Vous avez déjà consulté ? 

-       Vous voulez dire…

-       Une naturopathe.

-       Ah. Ça, non, jamais.

-       Et une escort ?

-       Oh, ça, oui, souvent. Enfin, désormais plus tellement. Mais fût un temps, j’y allais mensuellement.

-       Ça vous faisait du bien ? 

-       Énormément.

-       Quoi donc, exactement ? 

-       Prendre du plaisir et rien d’autre.

-       Je vois. En quête de total lâcher prise, d’abandon sans arrière-pensées.

-       Voilà.

-       C’est là tout mon art, cher Xavier. Mon expertise de thérapeute. Faire-du-bien, dit-elle, articulant chaque mot, marquant chaque syllabe. « Mon cycle de séchage arrive à échéance, je dois vous laisser. Mon fils et mon mari m’attendent à la maison. Vous reviendrez ? »

-       C’est pas prévu. Darty débarque dans deux jours.

   Venez me voir. Pour la séance de votre choix, voire les deux si vous le souhaitez. Donnez-moi votre numéro, je vous texte le mien. 

Sitôt la fille partie, j’enregistre son 06 sous le nom d'Hanna Thérapute