L'autre femme

Ses gamins déposés face au collège Victor Duruy, elle prend la direction de l’hôtel Atala, un établissement 4 étoiles du VIIIème à l’ambiance art déco où ils ont leurs habitudes. Portier, concierge, réceptionniste : là-bas tout le monde les connaît et leur facilite la vie, préservant leurs moments volés des regards indiscrets. Elle traverse le patio fleuri et retrouve Nathan assis dans le jardin d’hiver. Posé sur un fauteuil en bois d’acacia, entre sculptures contemporaines et œuvres d’art insolites, il semble parcourir ses mails d’un index frénétique. Elle s’émeut toujours autant à la vue de ses mains. Massives mais caressantes, aux phalanges longues, harmonieuses, élégantes.

Elle ralentit le pas, fait claquer ses talons afin d’attirer son attention et l’interpelle d’une voix mi-suave mi-amusée :

-       Vous attendez quelqu’un…? 

Il reste tête baissée, les yeux rivés sur son iPhone.

-       Et bien, tu parles d’un accueil… 

-       Oh pardonne-moi, j’étais ailleurs. 

-       J’aurais mieux fait d’aller bosser.

-       Encore un mail assassin d’Ève. Insultes, chantage, menaces… J’en peux plus de ses états d’âme, de ses tartines de haine écrites à la plume trempée dans l’acide.

-       Transmets à ton avocat et zappe. On monte ?

-       On boit d’abord un thé ici ? J’ai pas la tête à faire l’amour, là. Je ne suis pas certain d'être très performant.

-       Et moi j’ai peu de temps. J’ai pris seulement ma matinée. Et aucune envie de jouer la bonne copine consolatrice, l’oreille amène. Je suis censée être ta pute, pas ta psy. Et puis fais-moi un peu confiance, je suis archi. Ériger, c’est mon truc.

Quelques minutes plus tard, à quatre pattes sur la couette en satin de coton, elle s’affaire sur sa queue, en vain.

-       Chérie, je suis tellement navré. Pour moi c’est un jour sans. 

-       Laisse tomber.

Moins frustrée que vexée elle se lève, se rhabille, chausse brusquement ses stilettos  manquant de péter un talon et se tire en claquant la porte. 

Dans l’ascenseur, elle fond en larmes. Non content d’être cantonnée au rôle ingrat de l’amante, de la salope illégitime, elle essuie en plus l’humiliation de celle pour qui on ne bande plus. Elle dégaine ses Jimmy Fairly et sort de l’hôtel à la hâte, sous les regards en coin, gênés, du personnel du lieu. 

Rue Chateaubriand, elle commande un Uber, le chauffeur se pointe aussitôt. Sur le trajet, il la drague sans détour. Trentenaire, métisse, un bagout de leader de secte et un sourire à dérider Poutine himself.

Arrivée rue du Bac, elle lui propose de monter dans son loft, le type ne se fait pas prier. 

À peine passés le pas de porte, il la prend sans la désaper, relevant sa jupe-short taille haute, écartant son tanga Livy. Tant pis pour la capote, elle veut ressentir son désir dans toute sa raideur. Quand il jouit, elle glousse de plaisir.

Sitôt le mec mis à la porte, elle lance sa playlist Feelgood, met le volume à fond. Oh, i love to love, but my baby just loves to dance, he wants to dance… oh, I love to love, but he won’t give our love a chance… no, no, no, oooh… Elle file se rincer sous la douche, joyeuse, satisfaite, soulagée.