L'effet Candy Crush

C’est une fois arrivée chez qu’elle réalise : elle a zappé les courses. Absorbée par l'écoute d'un podcast dédié au phénomène Candy Crush et ses dérives addictives, elle est passée devant Monop’ sans même s’en rendre compte.

Elle envoie valser ses talons, retire sa veste Saint Laurent et file direction la cuisine. Rien à manger dans le frigo. Elle s’empare d’une bouteille de blanc qu’elle débouche aussitôt et se serre un verre aux trois-quarts.

Étendue sur son sofa BoConcept, elle ouvre l’appli Uber Eats, fait défiler les restaurants qui livrent dans le coin pour finalement jeter son dévolu sur son italien de quartier, Montecatini. Elle commande une pizza Roma puis file se faire couler un bain. Plongée dans l’eau bouillante sur fond du nouvel album de Moby, Resound New York City, elle swipe successivement sur Tinder, Happn et Bumble. Rien de bien fou, les mecs se suivent et ressemblent. Tous semblent concourir pour la palme du profil le plus cheap : en mode selfie, shooté à l'arrache dans un bus, poseur façon kéké mononeurone made in Saint-Trop’ avec lunettes noires et muscles bandés, juché sur une bécane avec bottes et combi en cuir, look full motard, ou encore un gosse dans les bras, un chat pour les plus esseulés. Elle finit par liker David, un papa divorcé, banlieusard, cardiologue, à qui elle balance un bonsoir qu’elle ponctue d’un smiley clin d’œil. Il lui répond dans la foulée. Elle pose l’iPhone, se lave à la va-vite, se sèche et enfile une nuisette. À peine démaquillée, l’interphone sonne. Encore un pied dans l’ascenseur, le livreur lui tend sa commande et redescend fissa.

Elle dévore sa pizza tout en tchatant avec le type. Il l’amuse, l’intéresse, l’intrigue, l’excite sur les derniers échanges. Quand il lui propose de passer, elle ne rechigne pas longtemps. Il débarque dans l’heure, conforme à ses photos, voire mieux. Elle se dit qu’elle a bien fait d’allumer quelques bougies d’ambiance, dont sa favorite, Precious Amber de chez Rituals. Pour le son, elle a mis une playlist de jazz dénichée sur Apple Music.

Ils terminent la bouteille de blanc, baisent sur son canapé. Le type croit bien faire en faisant durer le plaisir mais elle a joui depuis longtemps, au début des préliminaires. Elle se tortille un peu, halète, gémit histoire de, puis finit par lui demander de jouir sur ses seins sans délai. 

Après avoir éjaculé en la traitant de " bonne bourge salope ", il lui propose une douche à deux. Elle décline d’un sourire poli et tandis qu’il part se rincer, elle se nettoie tant bien que mal puis se rhabille à la hâte. De retour dans le salon à poil et tout sourire, il semble largement déçu qu’elle coupe court à la soirée mais cependant n’insiste pas.

Quand elle se couche dans son lit kingsize Tediber elle soupire de bien-être, hume l’odeur familière de sa taie d’oreiller et se félicite grandement de ne pas avoir emmené le queutard de compet' dans sa chambre. 

En se retournant dans ses draps, elle pense à Apple, à Steve Jobs, au monde avant toutes ces applis. Elle imagine sa vie sans elles, songe à son stage bien-être en Ardèche à venir cet été organisé par B-Well Coaching et sent sa gorge se nouer. Elle se relève, avale un demi Lexomil ainsi qu’un comprimé de mélatonine végétale, finit par s'endormir quelques minutes plus tard.