Heure d'été, heure d'hiver

Quand Justine passe la porte du Dirty Dick, un bar à cocktails du quartier Saint-Georges, un sale pressentiment me vient : ce sera comme imaginé, mais en moins bien. D’un coup d’œil circulaire, elle me repère et vient s’asseoir :

Navrée pour le retard. J’ai mis un temps fou à choisir ma tenue !

- Bombers, sweat à capuche, jean slim, baskets : t’as dégainé l’artillerie lourde.

- Ouais, t’as vu ça ! Plus sérieusement, je sors tout juste du boulot, du coup j’ai même pas eu le temps de repasser par la maison. Bon, au moins tu me vois comme je suis… enfin, à Paris.

Des flashs du mois dernier m’assaillent alors d’un coup d’un seul : Justine topless sur le bateau, sa peau brunie par le soleil des Baléares, les gouttelettes de la Méditerranée dévalant ses deux pamplemousses tandis qu’elle se dore la pilule, en lunettes noires, à mes côtés. 

Son Ward 69 commandé, elle me bombarde de questions : dernière longue relation en date, nombre de filles à mon compteur, mes ambitions professionnelles et projets de paternité… Au bout d’un petite heure, j’abrège son interro’ suprise :

Hey, j’avais pas signé pour ça, à Majorque.

- Laisse-moi deviner : tu voudrais ta Justine frivole, seins nus et bronzée toute l’année. 

- C’est jouable ?

- Ça risque d’être compliqué. C’est même d’ailleurs pour ça que j’ai pas mal hésité à te revoir à la rentrée. Justine made in Paris n’est pas Justine made in Palma. Ici, j'ai d'autres préoccupations. Aussi d'autres occupations : mes journées c’est métro, asso’, maraudes. Pas trop le mood sea, sex and sun.

- Asso’ ? Maraudes ?

- Je bosse dans une association d’aide aux femmes victimes de violences. Et trois soirs par semaine, je suis podologue bénévole à la Croix-Rouge. On rencontre des sans-abris, on les oriente, on les conseille, on les soigne et on les nourrit.

- C’est chouette, tout ça.

- Chouette, je sais pas, mais voilà, c’est mon quotidien. On est loin des baises sur le catamaran et des nuits blanches à picoler sur le sable de la plage d’Es Trenc.

Face à mon silence prolongé, Justine se montre diplomate :

D’ailleurs, je vais devoir filer, j’suis attendue pas loin d’ici par deux collègues, bénévoles de nuit elles aussi. Je veux pas rater le briefing.

- On se revoit bientôt ?

- Réfléchis. À toi de voir si cette Justine te dit. Au pire, on remet ça l’été prochain : je vais à Palma chaque année, la seconde quinzaine d'août.

Resté seul à la table, je commande un deuxième Mai Tai. Tandis que mon regard glisse sur la verrière du bar où la pluie tombe à verse, je songe que pour Justine et ses copines, la soirée va être bien longue, et l’année, pour moi, plus encore.