À cocu, cocu et demi

Ce matin-là, rue Gay-Lussac, comme je sors de chez Irène pour m’en aller bosser, je jette un œil à dix heures dans mon champ de vision : il est là, garé sur le trottoir d’en face, assis au volant d’une Alfa Romeo Giulia, couleur vert menthe. Son bras à peine levé, je détourne aussitôt la tête, file tout droit vers mon scoot’. Tandis que j’ôte l'antivol, mon portable sonne.

Alors, il est toujours en planque ?

- Fidèle au poste !

- Quel malade. Il commence à me faire flipper. Aujourd’hui, je préviens les flics.

- J’suis même pas sûr que ça en vaille la peine. C’est simplement un pauvre type, encore amoureux de son ex.

- Tu vas le défendre, maintenant ? 

- Nan mais bon. C’est pas comme s’il était violent ou qu’il s’introduisait chez toi. Il va finir par se lasser.

- J’en peux plus. Hier, à peine m’a-t-il vue sortir de l’immeuble qu’il a baissé sa vitre et mis du Barbara à fond. La honte.

Dis…. quand reviendras-tu… dis… au moins le sais-tu…

- Ouais, bah moi ça me fait plus rire.

- C’est à se demander quel sort t’as bien pu lui jeter pour qu’il en soit là aujourd’hui.

- Voilà, ça va être de ma faute. 

- J’ai pas dit ça. 

Si tu veux tout savoir, je l'ai trompé, ensuite quitté. La vie, quoi. Bref. Bon, tu veux revenir demain soir ?

- J’ai un debrief en fin de journée. Ça risque de s’éterniser. 

- Ok. On se tient au courant.

Le lendemain, de bon matin, un mail de l’agence m’informe du report du fameux debrief. Je texte Irène, lui propose de passer chez elle en début de soirée.

Vers 15 heures, sans réponse de sa part, je l’appelle, tombe tout droit sur son répondeur. Les heures passent, l’inquiétude me gagne. Je repasse par chez moi, glisse quelques affaires dans mon sac (dont un couteau, sait-on jamais), enfourche mon scoot direction le Vème, Irène - enfin surtout son stalker d’ex - en tête. J’imagine un passage à l’acte, la découverte d’une scène morbide.

Arrivé sur les lieux, je repère illico le type. Lui aussi semble m’avoir vu, puisqu’il baisse aussitôt la vitre et fait mine de m’interpeller de son habituel bras levé. Sans même me retourner, je compose le code tête baissée, m’introduis dans l’immeuble, grimpe les escaliers au galop. Arrivé à l’étage d’Irène, le 7ème, tandis que je reprends mon souffle, j’entends couiner, gémir, hurler. L’oreille collée à la porte de son petit studio, je reconnais ses râles, ses mots, les mêmes qu’employés avec moi  :

Aaaaah… c’que t’es bon, putain… aaaaah… ouiiiii… aaaah… c’que t’es boooooon !

Atterré, je m’assois sur les marches un instant puis finis par quitter les lieux, redescendant via l’ascenseur.

Dehors, j’avise l’épieur, désormais sorti de l’engin, adossé contre la portière, les bras croisés, une clope au bec. Comme je reste immobile, encore sonné par la claque prise, il hoche la tête, jette son mégot avant de rentrer dans sa caisse, qu’à peine installé il démarre. Arrivé à ma hauteur, il ralentit, l’air souriant mais désolé, sort sa main tendue que je serre, avant d’aussitôt disparaître dans le brouhaha parisien.