Saturday night Tinder

Rosalie s’écœurait. Ses filles à peine récupérées la veille pour une semaine de garde alternée, elle les laissait à une nounou et filait retrouver un mec dans une chambre d’hôtel de l’ouest parisien. Comme le G7 la conduisait vers Le Château Frontenac, les mêmes questions tournaient en boucle dans les méandres de son esprit, le même petit vélo cinglé pédalait bon train dans son crâne : cela disait quoi d’elle ? qu’elle était moins mère que catin ? qu’elle avait perdu tout sens commun, évacué toute moralité ? qu’elle était pareille à ces hommes et femmes 2.0 qui couchent comme on reprend de l'air, qui marchandent leur corps et leur chair pour un peu d’égo reboosté, qui consomme du cul bon marché un peu comme n’importe quelle denrée ? 

Oh et puis zut, elle avait passé la journée avec Clémence et Capucine, elle pouvait bien s’accorder un peu de temps pour elle ce soir. 

Elles avaient fait l’ouverture des Galeries Lafayette, dévalisé les corners Maje, Mango, Urban Outfitters, pris un lunch chez Ladurée, ensuite passé l’après-midi au parc Rothschild, où leur copine Éléonore fêtait ses 11 ans. Pendant ce temps, elle s’était fadé les autres mamans près de trois heures durant, à papoter chiffons, soucis scolaires et crèmes de soins. Elle se sentait tellement loin d’elles, engoncées dans leurs quotidiens d’épouse dévouée, de mère modèle. Tout ça lui semblait désormais parfaitement étranger. Une autre vie. Une autre femme.

Arrivée à l’hôtel, elle s’annonça auprès de la réceptionniste puis fila jusqu’à l’ascenseur, son string Aubade trempé d’envie et ses paumes moites d’appréhension. Au fond, elle n’était pas vraiment inquiète ; elle avait vu le type en cam’, un argentin gaulé comme une statue grecque, au sourire franc, à la voix suave. Transparent sur ses intentions, il voulait prendre du bon temps lors de son séjour à Paris, une semaine en tout et pour tout. Ça la changeait des imposteurs à beaux discours et queutards masqués en tous genres qui sous couvert d’envie d’à-deux la sautaient après un resto pour la ghoster dans la foulée.

Elle quitta la chambre en pleine nuit, après six coupes de Veuve-Clicquot et trois orgasmes dont un anal, fait rarissime chez elle.

Dans le taxi du retour elle ressentit un vide immense, une peine vertigineuse, cette dysphorie si familière, l’effet cathartique de la baise qui déjà s’estompait. 

Les yeux embués, le cœur serré, elle songea à son programme du dimanche : devoirs des puces en matinée, déjeuner à Marnes-la-Coquette, chez ses parents, suivi d’une interminable balade où les reproches allaient pleuvoir, mais pour son bien ainsi que pour celui des filles, évidemment.

Déposée devant la grille de son immeuble boulonnais, elle décida de faire un tour dans le quartier avant de rentrer. Dans le fond de son sac à main, elle perçut son portable sonner, le tintement caractéristique du match sur Tinder. Ce truc était sans fin. Un aspirateur d’âmes, un abîme de désirs mort-nés, un vortex de vacuité, l’enfer sur Terre des femmes quittées.

Tandis qu’elle ressassait froidement, marchant bras croisés, tête baissée, elle se fit surprendre par Loki, le golden retriever que Nicolas, son ex, avait insisté pour garder au moment du divorce. Campé sur ses pattes arrière, le bon chien l’avait reconnue et lui grimpant dessus, tentait tant bien que mal de lécher son visage. Elle le repoussa gentiment tout en caressant son museau. À l’autre bout de la laisse, les doigts vernis d’un rose immonde lui firent deviner Amandine, la connasse de 31 ans pour qui Nico l’avait larguée. Elles se saluèrent d’un glacial Bonsoir sans même s’accorder un regard.

Quelques mètres plus loin, passant devant leur pavillon, Rosalie releva sa jupe, ôta son string encore humide, le glissa dans leur boîte aux lettres d’un sourire malicieux puis trottina sur ses talons jusqu’à son domicile, songeant que finalement, cette nuit s’achevait joliment.