#Balancetabrève

Voilà. 

Encore une fois, elle y était. 

Au même endroit, au même moment. Dans le plumard d’un mec, en pleine nuit, peu après avoir fait l’amour suite à un premier rendez-vous. 

Cette fois pourtant, tout était plutôt bien parti. Ils s’étaient parlés via LinkedIn, Enzo était chercheur en psychologie cognitive, elle avait trouvé ça charmant, interpellant, hors-norme. Ils avaient des gens en commun sur le réseau 2.0 et, bêtement elle le savait, ça l’avait plutôt rassurée. 

La semaine qui avait suivi, elle l’avait passée sur son téléphone à le lire du matin au soir, sur des sujets variés, pointus, atypiques : Pourquoi les chansons tristes nous rendent heureux, à quoi servent les faux rires à la télévision, de quoi Tik Tok est-il le nom... Séduite par son savoir, exaltée par son orthographe, c’est elle qui avait initié le passage au réel, de l’autre côté de l’écran. Une vraie rencontre s’imposait, à l’extérieur évidemment.

Ainsi, ils s’étaient retrouvés un dimanche soir de juin autour d’un plaid et d’un plateau pique-nique dans l’herbe des Buttes-Chaumont. Le type, un italien de Lombardie, était plutôt bel homme. Un chouïa petit à son goût mais bien bâti, le regard profond, la voix grave. Et puis, tout comme elle il était de gauche. Tout comme elle également, il trouvait sain voire salutaire d’abattre le patriarcat. Il approuvait le NON C'EST NON et validait pleinement les hashtags Twitter du moment, #noustoutes#metoo et #handsaway. 

Vers 23 heures, tandis qu’ils marchaient côte à côte, elle trouva glam’ et romantique de l’emballer pile devant une banderole murale, STEPHANIE, CECILE, MURIEL, AUDE, ON VOUS CROIT. Au contact de sa raideur elle dit oui à son dernier verre, à venir prendre chez lui, rue de la Chine.

La suite, elle ne la connaissait que trop bien. Une bouteille de blanc éclusée, des galoches, des préliminaires, une étreinte à n’en plus finir. Et là, alors qu’Enzo ronflait, elle voulait se tirer. En temps normal, elle s’en foutait, c’est sans scrupules qu’elle se barrait après avoir eu son orgasme. Et d’expérience elle le savait, du sexe dès le premier soir était synonyme de plan cul. Mais lui, elle l’aimait bien. Pour une fois, elle se projetait ailleurs que contre un mur, sur une table ou bien dans un lit. Elle s’en voulait d’avoir cédé, encore plus de vouloir partir. Qu’allait-il penser, au matin, découvrant sa fuite en loosedé ? En même temps, il l’avait invitée chez lui. Le gars voulait baiser, point barre. Et puis merde, elle n’avait rien signé. Elle voulait juste rentrer chez elle, dormir tranquillou avec son chat Jean-Luc, du nom du tribun politique. Punaise, on était en 2023, c’était une femme libre, affranchie. Pas de quoi culpabiliser. Passer pour une salope n’était pas - plus - son problème. De toute façon demain, elle voyait Isaac, son amant de longue date, son sextoy sémite comme ses copines l’appelaient. Il avait beau voter Macron et bosser pour le groupe Total, il n’en restait pas moins le coup du siècle, alors, régulièrement, elle le sollicitait.

Elle rassembla ses fringues, fila se rhabiller en douce dans le séjour, commanda son G7. Juste avant de quitter l’appart’, sur le grand miroir de l’entrée elle écrivit de son rouge à lèvres équitable siglé Born to Bio, #onselèveonsecasse.