Le mec bien

Sur les conseils - rarement avisés - de sa meilleure pote Déborah, Laure avait finir par dater un homme plus âgé, le frère d’Orphée, une collègue de bureau. Celle-ci lui avait vendu son cadet comme un vrai gentil, mûr à point. Un mec bien.

Le type, 42 ans, divorcé, deux enfants, était Data scientist, habitait la Garennes-Colombes et se passionnait pour la truffe. Sur les réseaux sociaux, il était membre de groupes aux noms toujours plus louches : Association des trufficulteurs lozérois, Mycopassion, Syndicat truffier de France, Truffes de Montcuq… Pire, il collectionnait les santons. Mais fatiguée des plans d’un soir, Laure était prête à quelques concessions en vue d’une histoire dite sérieuse, d’une complicité au long cours. 

Durant leur dîner en terrasse chez Livio, un italien fameux du centre de Neuilly-sur-Seine, elle avait pesé le pour et le contre : côté positif, Simon était plutôt bel homme, à l’écoute, financièrement à flot, adhérent actif d’Europe Écologie les Verts et non-fumeur depuis toujours. Revers de la médaille, il était chiant à se flinguer. Toute la soirée, elle avait dû meubler à coups de questions en rafales auxquelles il répondait d’un mot. Elle avait terminé par papoter comprimés Nicorette et patchs anti-tabac avec le couple de lesbiennes de la table voisine.

Au sortir du resto, un brin pompette et prise de court par son initiative, elle s’entendit répondre why not pour aller boire un verre chez lui. 

Dans son break Peugeot 308, elle songeait à Seb, son amant de 31 ans, à leur dernière soirée chemsex. Cela faisait combien de temps qu’elle n’avait rien fait sans planer ? MD, ecsta, coke, kétamine… elle avait pris le pli de baiser et jouir sous substances et s’il voulait la faire hurler, Simon allait devoir trimer.

Arrivée chez lui, elle s’enfila trois shots de Zubrowka puis lui réclama du vin rouge. À table, elle avait déjà sifflé à elle seule les trois-quarts du Château La Pointe, un Pomerol aux notes de fruits noirs, d’épices, de pain grillé, aux tanins élégants, racés, selon le sommelier.

Là, affalée dans le canapé, les yeux mi-clos, elle observait Simon, flairait toute son appréhension mais commençait enfin à lui trouver un peu d’esprit et sentait le désir monter. Une demi-heure plus tard, face à son trac de circonstance, elle finit par prendre le lead

Sa langue à peine passée sur son gland circoncis - il était membré comme un morse, elle s’en réjouit -, Simon vint dans une plainte aiguë.

Ressorti de la salle de bain après avoir fait sa toilette, c’était le terme exact qu’il avait employé, il prétexta une rando’ truffe & VTT le lendemain matin du côté de Champagne-sur-Oise pour la congédier poliment. 

Vexée, pétée et restée sur sa faim, Laure décampa et texta Seb depuis la banquette du Uber, sans succès. 

Avant de sombrer sur son lit encore à moitié habillée, un arrière-goût de foutre en bouche, son womanizer à côté, elle se jura de stopper net les rencards arrangés, les mecs dits biens car plus âgés et l’alcool pour s’encourager.