Sexe, mensonges & idéaux

La femme se leva et partit. 

Salomé resta seule à table, face à sa tasse de café crème. Elle la regarda s’éloigner, dans sa robe portefeuille rose clair, courte, nouée à la taille. Sidonie était grande, élégante, bien mieux foutue qu’elle et savait marcher en talons.

Un peu plus de deux heures durant elles avaient parlé calmement, échangé sans acrimonie à propos d’Elliott, conjoint de l’une, amant de l’autre.

Cocue mais résolue, c’est Sidonie qui avait initié l’entrevue, la veille au soir par téléphone. D’abord surprise, ensuite méfiante, craignant une rencontre-traquenard, Salomé avait finalement consenti à la rejoindre au Marigny, un troquet rue des Batignolles. 

Là, elle l’avait longuement écoutée plaider sa cause, celle de son couple, de sa famille. Ensemble depuis près de 15 ans, 3 enfants dont 1 en bas-âge, bien évidemment des problèmes, des ras-l’bol, des envies d’ailleurs, mais rien d’insurmontable, tout du moins à ses yeux. Alors en ce lundi de juin, sous un cagnard de saison, dans un air parisien saturé de particules fines, de crissements de pneus, de klaxons, elle sommait courtoisement Salomé de prendre ses distances, de s’éloigner d’eux, de leur couple, de les laisser tranquille.

Terminant son café à petites gorgées, Salomé bouillonnait. Elle songeait aux propos d’Elliott quant aux raisons qui l’avait poussé à franchir le pas de l’adultère, à la voir deux fois par semaine dans des chambres d’hôtel de luxe, le temps de fiévreux 5 à 7.

Comme une conne, et parce que ça l’arrangeait bien, elle avait tout gobé : la séparation imminente, les 10 kilos de grossesse pris jamais perdus, leur vie intime inexistante, les projets d’avenir à l’arrêt… Elliott l’avait bien baladée. Elle héla le serveur, lui commanda un verre de blanc. 

Deux autres verres plus tard, histoire de se changer les idées et de se mettre au frais, elle choisit de se faire une toile dans le cinéma d’à côté. Il était encore tôt, dans les eaux de 17 heures 30, aucune séance intéressante ne commençait avant un bon moment. Seul s’apprêtait à débuter un navet français, Les vengeances de maître Poutifard, avec un casting à se pendre, Christian Clavier et Isabelle Nanty. Un peu pétée, désabusée, elle se prit un billet plein tarif ainsi qu’un bucket de popcorn, sucré, taille moyenne. La salle était déjà bien pleine. Elle s’installa au dernier rang, à côté d’un quadragénaire venu voir le film en famille.

Au bout de 45 minutes, alors que Clavier déguisé en plombier Nintendo s’excitait aux commandes d’une grue, elle sentit la cuisse du papa venir frotter contre la sienne. Elle eut une pensée pour sa femme, pour Sidonie, pour les enfants des deux foyers et, à l’instant de lui en mettre une, se ravisa in extremis, se leva, sortit de la salle.

Dehors, il fait toujours aussi chaud. Les pneus continuaient de crisser, les particules fines de voler et les klaxons de s’exciter. Quant à Elliott, aux mecs maqués, ils continueraient de tromper. Le monde parfait n’existait pas, était-ce pour autant une raison pour accentuer sa perdition ? 

Assise sur sa selle surchauffée, elle supprima son numéro sans toutefois le bloquer, soupira, démarra son scoot, disparut dans l’air pollué.