Viol estival

Amis partis, restos fermés, bar désertés… Le soir en août, elle s’ennuyait toujours un peu dans son studio mansardé de la rue du Puits de l’Ermite. En picolant du Minuty, son rosé star comme elle aimait l’appeler, elle s’enfilait des séries en streaming, des films en VOD. Absence de bruits de pas, de portes qui claquent, de cris d’enfants : les voisins avaient mis les voiles pour divers enfers balnéaires, l’immeuble était quasiment vide. Seul le quadragénaire du haut semblait être resté à quai. Hermétique aux saisons, imperméable aux agendas des uns et aux congés des autres, durant ces deux mois suspendus, invariablement, il continuait d’accueillir chez lui des femmes à partir de 21 heures. 

Son mode opératoire semblait toujours le même, auditivement parlant du moins. 

Au premier acte, il leur passait du rock,  le Let it Bleed des Stones, Dark side of the Moon de Pink FloydPuis venait la phase électro. Résonnaient alors des morceaux compil’ Costes fadasses, criblés de beats d’hypermarchés, d’informes voix samplées, sans âme. 

Peu après, le martèlement de talons au-dessus de sa tête annonçait l’acte II. Elle le savait guidant sa proie dans sa chambre à coucher où des cris et des gémissements l’informaient de l’étreinte en cours. Arrivait enfin l’acte III, sans bande-son celui-là. Seul bourdonnait le glouglou de la tuyauterie, la douche post-coït signalant la fin de la fête, le départ imminent de la prise du moment.

La porte sitôt claquée, la musique reprenait. L’homme se passait alors du blues, un tube de Bobby Bland qu’il repassait x fois de suite, Ain’t no love in the heart of the city. Il concluait par du classique, là aussi toujours le même morceau. Le volume était si maousse, les cloisons et les murs si fins qu’elle avait pu le shazamer : la symphonie n°49 en fa mineur d’Haydn, La Passione. 30 minutes d’expression musicale lancinante, douloureuse, romantique.

Elle l’imaginait seul, allongé sur son lit, les yeux fermés, entouré de hautbois, de cors et de bassons, à rêver d’élans tempétueux, de passion sans pareil, d’amour inconditionnel. 

C’est là, lors de ce dernier acte, qu’elle s’endormait, amusée, apaisée, touchée par le partage à son insu de ce voisin dévoyé, par cet abandon dérobé, par cette intimité violée.