Eigh'teen

Au début des années 2000, tout le monde achetait des CDs. 

Elle, du haut de ses 15 ans, en avait déjà quelques-uns mais rien de comparable avec l’imposante discothèque du type de 28 ans chez qui elle se trouvait ce soir. 

Ce jour d’octobre 2002, elle rentrait de son cours de danse quand il avait croisé sa route, devant les grilles du square Louvois.

Comme bien souvent à cette époque, dès 19 heures ses parents étaient de sortie, toujours chacun de leur côté. Elle n’aimait pas rentrer chez elle et trouver l’appartement vide. En ce temps-là, Insta, Snapchat n'existaient pas, les plateformes de streaming non plus, ces drogues digitales d’aujourd’hui aux airs de pilule bleue dans Matrix, ces néo-stupéfiants qui font passer le temps, ces anesthésiques au réel qui font voir la vie en pixels, soulagent les solitudes. 

Alors quand il lui avait proposé un verre au Vivienne, un bar du quartier, flattée, elle avait accepté. Deux cocktails Bellini plus tard, elle avait aussi dit ok pour aller écouter chez lui Songs for the deaf, l’album tout récemment sorti des Queens of the Stone Age.

Assise dans un des fauteuils club de son double séjour, elle l’avait observé chercher l’album parmi les milliers de boîtiers entassés sur ses étagères.

Il ne l’avait jamais trouvé alors lui avait proposé d’en choisir un à écouter. Face à l’immense mur de musique, elle avait fermé ses yeux en amande et pioché au hasard. 

18, de Moby.

Lui aussi venait de sortir. Allumant rarement la télé, n’écoutant jamais la radio, elle connaissait l’artiste de nom, sans plus. Elle scruta la pochette, face avant, face arrière.

18, comme 18 titres. 

18, comme le chiffre annoncé quand il lui avait demandé son âge. La coïncidence l’amusa.

L’album aussitôt mis, il l’attira vers lui, la déshabilla sauvagement. Elle renonça à se débattre.

Il la baisa sur 18

C’était sa première fois, alors elle eut mal sur 18, elle feignit de jouir sur 18, elle chiala sa mère sur 18.

Au moment de mettre les voiles, les cuisses rougies, le teint livide, il lui offrit le disque et griffonna son numéro sur un bout de papier qu’elle balança sitôt sortie. 

Cette odieuse relique audio, ce cadeau d’adieu, ce honteux fardeau, elle le trouva dans un carton un soir de ménage de printemps 2023. Moby avait plus que jamais le smile devant ce putain de ciel bleu.

Ce jour-là, elle bazarda bien des CDs mais, encore une fois, échoua à se défaire d’18.