Ici et maintenant

Enterrement de la sœur d’Antoine, un ami d'enfance, en l’église Notre-Dame des Flots, au Cap-Ferret. La cérémonie à peine débutée, je sens l’eau couler sur mes tempes, dégouliner sous ma chemise. Je sors à temps pour reprendre mon souffle, déboule en nage sur le parvis en même temps que j’enlève ma veste et desserre ma cravate.

L’instant d’après je vois la femme d’Antoine surgir à son tour du lieu saint, la cadette dans les bras et l’ainée lui tenant la main.

- Un souci, Ambre ?

- Elles babillent et chouinent sans arrêt. Même le prêtre semblait saoulé. 

- Tu veux que je m’en occupe ?

- Je t’avoue que ça m’arrangerait. J’aimerais vraiment y retourner, être là pour soutenir Antoine. Mais ça va aller, toi ? Je t’ai vu sortir l’église au pas de course.

- Une petite crise d’angoisse, rien d’autre. Là, ça va déjà un peu mieux. Je vais les emmener jouer là-bas, lui dis-je en montrant du menton la plage de l’autre côté de la place.

- Ça marche. Merci. On vient vous retrouver une fois la cérémonie achevée.

Une enfant au bout de chaque bras, c’est pieds nus que je foule le sable tiède. En cette fin octobre, l’endroit est quasiment désert, la mer vierge de tout vacancier et la vue sur le bassin d'Arcachon à tomber. Sans même attendre mon aval, les fillettes filent au bord de l’eau. Mes esprits totalement repris, je les rejoins peu après. 

Les yeux rivés sur le coquillage qu’elle tient entre ses petits doigts, Lou m’interroge :

-  Alors ça y est, Tata est montée jusqu’au ciel ? 

- C’est ça, ma grande. 

- Maintenant elle vit dans les nuages, avec les anges.

- Exactement. 

 Mais pourquoi on va tous au ciel ?

- Comment ça ?

- Et bah j’sais pas… par exemple…on pourrait aller dans la mer. 

- C’est vrai ça. 

 Alors dis-moi, pourquoi le ciel ? Tata faisait du surf, elle aurait préféré la mer.

- Faut croire qu’en termes de foi, les gens manquent d’imagination.

 En termes de quoi ?

 La foi… c’est ce que tu penses et crois très fort, au plus profond de toi. Et beaucoup de gens croient très fort qu’après la vie sur Terre, on grimpe au ciel.

- Comment on fait pour y aller ?

- Aucune idée.

- Toi, t’as pas l’air d’y croire beaucoup.

- Pas plus au ciel que dans la mer.

- Tu crois en quoi, alors ?

- Écoute, ma puce… l’important c’est ce que tu crois, toi. Que tu te vois renaître en petit ange au ciel ou en coquillage dans la mer, peu importe. L’essentiel, c’est que tu sois en paix et en accord avec tes pensées, tes idées. 

 Pour l’instant, je sais pas vraiment à quoi croire. C’est grave ?

- Du tout. T’as le temps, va. T’as même le droit de n’croire en rien.

- En fait je crois… que j’ai envie d’t’éclabousser ! hurle la gosse en sautant à pieds joints dans l’eau, avant d’aller rejoindre sa sœur. 

Une demi-heure plus tard, assis au bord de l’Atlantique, comme je fixe Camille et Lou rire et s’amuser dans les flots, j’entends la voix d’Ambre derrière moi :

Merci encore. Ça a été ?

- Aucun problème. Avec Lou, on a un peu parlé croyances.

- Style père Noël, petite souris ?

- Pas vraiment. Plutôt genre vie après la mort.

- Aïe. Ce matin encore, j’ai tenté de lui expliquer. Elle t’a parlé du ciel, des anges ?

- Ouais... mais sans conviction. D'ailleurs elle a vite coupé court. Je crois qu’elle a compris.

- Quoi donc ?

- Que la vie c’est ici…

- …Et maintenant, me coupe Ambre d’une voix brisée, posant sa tête sur mon épaule, les yeux rivés vers ses deux filles.