Ou pas

Attablé au Café des anges – un bistrot parisien typique aux murs placardés d’affiches de spectacles servant des plats sans prétention sur nappes Vichy – en compagnie d’une date Tinder, je termine à la hâte mon verre de Chardonnay tandis que la conversation s’enlise dans les sables de ses peines de cœur et revendications féministes.

À ma grande surprise, Héloïse me propose de dîner sur place. Sa bouche divinement dessinée et sa poitrine, deux imposants obus pointés tout droit vers moi, me font dire oui sans hésiter.

D’une main levée, j’interpelle le serveur. À peine celui-ci arrivé, elle lui saute à la gorge :

Je vais vous prendre une salade Cobb. Par contre : de la romaine à la place de la laitue.

- Bien madame.

- Et surtout pas de roquefort. Du parmesan. Ok ?

- C’est noté.

- Vous la servez avec bacon ?

- Tout à fait.

- Je la veux sans bacon. 

- D'accord

- Pour la sauce, j’imagine que c’est une vinaigrette ?

- Il me semble bien, en effet.

- Alors plutôt une sauce yaourt.

- Je transmets les infos au chef. Et pour monsieur ?

- Je vais vous prendre le bar grillé. 

Le type en tablier sitôt éloigné, elle repart de plus belle dans son monologue vaginal. Je la coupe aussitôt :

Ici c’est pas le Georges V, hein. Les plats sont pas préparés sur mesure. Ce que tu as dans ton assiette, c’est ce que t’as pris sur la carte. Tu fais pareil avec les mecs ? 

- Comment ça ? grimace Héloïse. 

- Bah, tu m’as l’air d’être un brin…

- … Exigeante ?

- J’allais dire chiante, mais oui, si tu préfères. Tu modèles toujours selon ta checklist, sur une base existante ? Si c’est le cas, t’étonnes pas d’être insatisfaite. Et que le problème se répète.

- Je ne digère pas le roquefort, si tu veux tout savoir. 

- Et l’histoire avec le bacon, c’est quoi ?

- J’y suis allergique. Aux goujats dans ton genre aussi. De toute façon, ça ne l’aurait pas fait : cynique à l’excès, mal rasé, job instable, pas assez musclé. Et banlieusard, en plus. Dommage, t’as un regard plutôt charmant, de jolies mains et une belle voix.

- Le syndrome des cases à cocher. CQFD.

Furax, elle empoigne son sac, farfouille, en ressort deux billets qu’elle écrase sèchement sur la nappe, avant de se lever et d’achever d’un ton glacial :

C’est moi qui régale.  

- J’imagine que pour le dessert, c’est râpé ?

- Clairement. Et la pipe à la chantilly, pas sûr que t’en trouves à la carte, profère-t-elle tout en ricanant, avant de quitter le café dans un claquement de talons.

Quand les plats finalement arrivent, le garçon de table me lance :

Romaine. Parmesan. Sans bacon. La sauce yaourt arrive sous peu.

- Ou pas, je m’entends lui répondre, lèvres plissées, sourcils haussés.