Dubaï. Perché au 148ème étage de la Burj Khalifa, j’observe le panorama embrumé depuis l’immense terrasse à 360°. Il est pile sept heures du matin – j’ai choisi l’option Sunriser, histoire de pouvoir assister au lever du soleil – et les premiers touristes affluent, des familles pour la plupart.
- Je m’attendais à nettement mieux, marmonne le type à mes côtés.
Personne autour de lui, je me sens curieusement contraint de lui donner la réplique.
- Ce brouillard matinal n’aide pas…
- Le ticket à 120 euros, une heure et demi d’attente en bas pour trouver ça en haut : tout ça fleure quand même bon l’arnaque. J’crois bien qu'à part l'ultrarapide montée en ascenseur j'en garderai pas grand souvenir.
- La montée, c’est le voyage. Et vous connaissez l'adage, c’est le voyage qui compte, pas la destination.
- Pas faux.
- On a le temps d’imaginer, de fantasmer…
- Ouais, de se faire des idées. Bon, histoire de, je dirais quand même à ma femme qu’elle a raté un sacré truc.
- Elle n’a pas voulu venir ?
- Elle n’est pas du matin… elle a le vertige… et surtout, elle ne voyait pas l’intérêt. Faut croire que, pour une fois, elle n’avait pas totalement tort.
Sentant la tension dans sa voix, j’y vais de ma question perfide :
- Vous êtes ici en lune de miel ?
Il tourne la tête vers moi :
- Franchement, j’ai l’air de sortir de l’église ?
- Les secondes noces, ça existe…
- 40 ans d’mariage cette année.
- Félicitations à vous deux !
- Ouais, enfin… Y’a bien longtemps qu’on est sortis de l’ascenseur, si vous voyez ce que j’veux dire. Et on a eu le temps de contempler la vue. Désormais on s’emmerde un peu. Je crois bien qu’elle comme moi, on aimerait redescendre.
- Aller voir d’autres paysages ?
- Y'a un peu d'ça. Au fond, je sais pas trop ce qu’on attend.
Un silence malaisant s’installe quand soudain un rayon de soleil vient déchirer le voile brumeux.
- Tiens... Les premières lueurs.
- Ouais, on dirait bien qu’ça s'lève.
Quelques instants plus tard, la terrasse baigne dans une lumière sublime, et la ville toute entière se dévoile devant nos yeux émerveillés. L’homme va pour se shooter en selfie avec les gratte-ciel derrière lui.
- J'vous fais la photo, ça vous dit ?
- C’est pas d’refus. C’est pour envoyer à ma femme.
Sitôt son téléphone repris, je l’entends bougonner :
- Ça rend pas grand-chose mais bon, merci quand même.
- Passez-lui un appel FaceTime, histoire de partager un peu le moment avec elle, nan ?
- Pas une mauvaise idée, lâche-t-il d’un index levé, avant de s’éloigner dare-dare.
Le spot dubaïote peu à peu pris d’assaut, je décide de vider les lieux et me dirige vers l'ascenseur. Tandis que les portes se referment, j'aperçois le type, tout sourire, le nez collé à son iPhone, sur fond de soleil flamboyant.