Le bijou de famille

La veille de mon départ pour Londres, je charge un sac de voyage à la hâte quand, au fin fond d’un tiroir, je tombe sur la bague de famille d’une ex, installée depuis maintenant quelques années dans la capitale britannique. 

Je la texte dans la foulée, « Hey France, je viens à Londres pour quelques jours. Dispo pour qu’on se prenne un verre ? Et puis je te rendrai ta bague… ». La réponse arrive sans délai. « Hi there X. ! Ç’aurait été avec plaisir mais je suis en déplacement pro pour 10 jours. Une tournée Mali-Tchad-Congo. Pas de tout repos. Si tu pouvais passer la déposer à la maison, ce serait top. Glisse-la dans la fente-boîte aux lettres de la porte d’entrée, please : 18, Chepstow Villas. D’avance un grand merci. J’espère que tout va bien pour toi. »

Je réponds d’un simple émoji - j’opte pour le pouce up -, glisse le bijou dans ma trousse de toilette et m’en retourne à mes préparatifs.

Soixante-douze heures plus tard, quand je sors à Notting Hill Gate, la bouche de métro la plus proche, je me fais cueillir par une pluie comme seule Londres sait en faire tomber. Trempé au bout de quelques foulées, sans rien pour m’abriter, j’accélère encore la cadence jusqu’à l’adresse fournie par France.

Arrivé devant l’immense pavillon, je grimpe fissa les marches jusqu’au perron et glisse l’enveloppe contenant l’anneau. Je texte aussitôt France, « Job done. J’espère te voir une prochaine fois. » 

À peine retourné sur mes pas, j’entends une voix à l’accent français prononcé m’interpeller :

 May i help you ? 

Je me fige avant de faire volte-face.

Antoine, j’imagine ? 

- Lui-même, répond l’individu avant de remettre sa mèche grise en place puis de plonger une main dans son pantalon en velours. L’autre, ornée d’une immonde chevalière, tient fermement l’enveloppe. Quel âge peut bien avoir ce type ? Cinquante balais grand minimum.

- Moi c’est Xavier, un vieux copain de France. J’avais juste à lui rendre un truc.

Tandis qu’Antoine ouvre l’enveloppe, je poursuis mon laïus :

Une breloque oubliée chez moi, y’a des années de ça. Rien d’important. Je voulais pas vous déranger.

- Une breloque gravée aux initiales de sa mère, je vois. Hors de question de vous laisser repartir par ce temps. Sans parapluie en plus. Entrez vous sécher cinq minutes.

Sitôt passé le pas de porte, mon iPhone tinte. « T’es un amour. Et puis on a su éviter le pire : le duel de western mari-ex ! À bientôt j’espère ». 

Alors dites-moi… Xavier… Comment avez-vous eu l’adresse ? me questionne le maître des lieux, tandis qu’il se laisse tomber sur un imposant Chesterfield. Le jean humide, ma veste bonne à être essorée, je choisis de rester debout.

- Bah… Via France… Je l’ai textée depuis Paris.

 Vous échangez encore, après tout ce temps ?

- Écoutez, si c’est pour me mettre sur la sellette...

- Du tout mon ami, détendez-vous ! On discute ! Après tout, on a quand même une belle affinité : la femme la plus exquise au monde. D’ailleurs, on a sûrement chacun beaucoup à dire sur elle. Tiens, par exemple, saviez-vous que plus jeune, elle surnommait ses mecs d’après leur attribut ? Y’avait La tour de Pise, Cure-dents, Le gros bolet, La Panzani, Belle bite… Forcément, vous face à moi, je m’interroge. Auquel puis-je bien avoir affaire ?

Devant mon silence prolongé, Antoine poursuit sa logorrhée libidineuse.

Oh, ça va, on peut plaisanter. Et puis l’essentiel est quand même qu’elle ait fini par trouver le bon. Enfin, la bonne.» glousse le vieux beau de plus belle. « Je vous sers un thé, un café ? »

J’aimerais déjà sécher mes fringues, si c’est possible. 

- Sa salle de bain est à l’étage, troisième porte sur votre droite. 

Arrivé dans la pièce, j’ouvre les armoires en wengé en quête du fameux sèche-cheveux. Sous la vasque en verre dépoli, j’actionne un tiroir coulissant, farfouille d’une main à droite, à gauche. Mes doigts se posent sur une boîte en carton aux teintes mauve-parme, illustrée par un gode énorme, de couleur marron chocolat . Bruce. Realistic touch skin. Je sors l’engin de son étui puis reprends mes recherches, en vain. J’attrape une serviette accrochée, me sèche tant bien que mal. 

De retour au rez-de-chaussée, je m’empare de ma veste et interpelle Antoine :

- J'dois bien avouer, vous êtes dans l’vrai. France a trouvé le bon et c’est bien tout c’qui compte !

Joignant le geste à la parole, je lui lance le gode taille mammouth qu’halluciné, il réceptionne des deux mains avec un mouvement de recul. Arrivé à la porte d’entrée, j’enchaîne :

Lui, c’est Bruce. Faut croire que France a conservé intacte sa passion des p’tits noms. Et s’en est découvert une nouvelle : l’Afrique.

De retour à l'air libre, dans l’artère bourgeoise, j’envoie un SMS à France, « Bague restituée, mari probablement perdu. Désolé pour les pots cassés. Enjoy the trip. La tour de Pise. »