Le résident permanent

Fin octobre, Port de l’Arsenal, quartier de la Bastille. Dans la chambre de sa péniche, Léa me chevauche fougueusement depuis maintenant un bon moment, sans pourtant parvenir à jouir. 

Épuisé, en nage, je tenaille fermement ses hanches et finis par la faire cesser ses toniques va-et-vient.

D’un soupir contrarié, elle se laisse retomber sur le côté du lit.

Putain, mais pourquoi ça vient pas !

- Allez, c’est rien… Y’a peut-être incompatibilité, disons, anatomique ? Comme disait une ancienne amante, « Si ça touche pas les bords, c’est mort ».

- Charmant. Non mais rien à voir. Preuve en est, je monte super vite… Et puis, à l’instant d’exploser, ça bloque net dans ma tête.

- Des tracas au taf ou dans ta vie perso, peut-être ?

- C’est mon ex. Il est là, avec nous. Il me voit, nous regarde.

- Ah ouais. Là c’est plus du ressort du psy que du coup de reins.

- Juste avant d’orgasmer, je l’entends derrière mon oreille, une petite voix… Léa, tu peux pas me faire ça. 

- Ambiance. Tu m’diras, on est en période d’Halloween. Mais c’est pas lui qui t’a quittée ?

- Je lui faisais l’enfer. Il a juste jeté l’éponge. Il m’aime encore, et pas qu’un peu.

- Bon bah moi, je vais prendre une douche.

Au sortir de la mini cabine en plexi, j’enfile mon jean, mets mon t-shirt, me ressers un verre de Sancerre et gagne le pont de la péniche.

Accoudé au bastingage, je contemple la ville de nuit : le reflet trouble des lumières des lampadaires ondoie dans l’eau de la Seine, tandis qu’au loin, l’ange de la Bastille d’une main brandit haut son flambeau, et de l’autre ses chaînes brisées.

Fifou ?

Me retournant, j’aperçois le voisin de la barge d’à côté.

Ah désolé, j’avais cru reconnaitre Philippe. Vous êtes un ami, j’imagine.

- Disons… un proche à mon corps défendant. 

- Comment ça ?

- Façon de parler. Laissez tomber. Je suis le mec de Léa. Enfin, le nouveau.

- Ah, je vois. Désolé pour la bourde.

- Y’a pas d’mal. Y’a longtemps que vous vivez là ?

- Depuis six ans. De janvier à décembre. Ici, on est quasiment tous résidents permanents.

- J’ai cru comprendre. Bon…Il fait pas chaud, j’vais vous laisser.

 Ça marche. À une prochaine avec plaisir pour un apéro dînatoire ! 

De retour dans la chambre sur la pointe des pieds de peur de réveiller Léa, elle ne m’entend pas arriver quand je la découvre sous le drap, ondulant comme une possédée, la main plongée entre ses cuisses.

- Mon fifou… oui… fifou chéri… oui je suis là… ta Léa toute à toi… ta sirène parisienne… ta Léa… rien qu’à toi…

M’emparant de mes pompes, de mon blouson et de mon casque, je rebrousse chemin en loucedé et quitte l’embarcation hantée.