Sans elle

Le jour d’après. Le tout premier réveil sans elle à mes côtés. Sans ses mantras sanskrits et autres chants védiques. Sans le parfum flottant de son maté encore fumant, arôme citron-gingembre, dont l’odeur aux aurores me filait la nausée et donnait l’impression d’émerger à l’hosto. Sans ses affaires semées de la chambre au salon, façon cailloux tout droit sortis du Petit poucet de Perrault : une bottine plantée près du pieu, une autre échouée dans le couloir, sa culotte suspendue à une poignée de porte, une créole retrouvée enfouie sous l’oreiller... Son bordel de sale môme, comme elle aimait l’appeler. Sans ses bouquins ouverts, commencés, jamais terminés, aux titres tartignoles, sucrés à s’en déclencher un diabète : Destination succèsDétoxe ta vieGood vibrationsComme par magie. Sans son bla-bla en bruit de fond à propos de tout et de rien : ses copines séparées, sa lubie du moment - si on prenait un chien ?, son boss un peu trop familier, sa mère en dépression, son envie d’enfanter, ses chakras à réaligner. Sans ses projets de vie, sans sa peur de la mort, sans sa boulimie bio, sans ses foutus vélos, sitôt achetés sitôt volés, sans son trousseau de clés combien de fois paumé, sans ses gueulantes poussées aussitôt oubliées, sans ses idées-guimauve, sans sa soif de les exprimer, sans ses combats de cœur, sans sa rage de les remporter, sans son goût pour le pire, sans ses SMS envoyés à pas d’heure juste histoire de se rassurer, sans ses emojis à baffer, sans ses Je t'aime pixélisés, sans sa trouille bleue de moins s’aimer, sans ses mots pour le dire, sans son attrait pour le néant, sans sa force d'en rire, sans son putain de cran, sans sa fureur d'aimer, sans elle pour me porter. Sans elle.